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Deux ouvrages de Frédéric Pajak aux éditions Noir sur Blanc (par Philippe Chauché)

Ecrit par Philippe Chauché 14.03.25 dans La Une Livres, Cette semaine, Les Livres, Critiques, Editions Noir sur Blanc

Edition: Editions Noir sur Blanc

Deux ouvrages de Frédéric Pajak aux éditions Noir sur Blanc (par Philippe Chauché)

 

Manifeste incertain, Volume 10, Les Etrangers, Malcom Lowry, Alberto Giacometti, Frédéric Pajak, Éditions Noir sur blanc, janvier 2025, 272 pages, 25 €

Le Chagrin d’amour, Avec Apollinaire sur le front amoureux, Frédéric Pajak, Éditions Noir sur blanc, octobre 2024, 336 pages, 25 €

 

« La vie s’écoule, paisible, dans une grande simplicité. Entre Malcom et sa nouvelle épouse, l’entente est totale. Il s’est attaqué à la quatrième version de Au-dessous du volcan, dans laquelle il fait dire à son héros : « L’amour est la seule chose qui donne un sens à nos pauvres allées et venues sur terre : pas précisément une trouvaille, je le crains. Tu vas me croire fou, mais c’est de cette manière que je bois aussi, comme absorbant un éternel sacrement » (Malcom Lowry).

« Le dessin de Giacometti exprime la fragilité, l’extrême fragilité. Celle non pas du sujet représenté, mais du dessin lui-même. Et ce n’est pas une fragilité affectée : elle est la condition même du dessin, témoignant par son dénuement de l’acte périlleux que réclame cet art ô combien intimiste » (Alberto Giacometti).

Nous avions quitté Frédéric Pajak sur son Manifeste incertain 9 (1) qui annonçait à mots couverts la fin du Manifeste incertain, qui a occupé l’écrivain-dessinateur durant dix ans. Mais le Temps (retrouvé) donne toujours raison aux artistes. Nous voici face au dixième opus du Manifeste, précédé de l’heureuse réédition du Chagrin d’amour, avec Apollinaire sur le front amoureux, paru il y a près de vingt-cinq ans aux Presses Universitaires de France dans la Collection Perspectives critiques que dirigeait le regretté Roland Jaccard. Pour ce beau volume, Frédéric Pajak invite deux étrangers : Malcom Lowry et Alberto Giacometti, un Anglais et un Suisse, revenus chez eux pour mourir. Frédéric Pajak va raconter leurs histoires en biographe précieux et admirable, et y glisser, comme des photos anciennes et indispensables, ses dessins qui n’illustrent pas, mais irriguent, enflamment, troublent son récit tout aussi fidèle que romanesque, tant Frédéric Pajak est saisi par la force de ces deux artistes, l’un écrit, l’autre sculpte et dessine. Une biographie qui ne s’accorde pas à son personnage, s’efface tout aussi rapidement qu’un dessin sur sable avant qu’une vague ne le recouvre, une biographie qui ne donne pas à voir, à sentir, à entendre son personnage, s’oublie comme on oublie un mauvais rêve fugace.

« A Boston, il habite une piaule malpropre, au milieu d’un amoncellement de livres, de manuscrits, de disques et de bouteilles vides ».

Tout commence le 28 juillet 1909, Clarence Malcolm Lowry voit le jour du Cheshire, il va grandir sans grande joie, et se livrer à une passion qui le conduira au firmament de l’art romanesque : écrire, puis plus tard, celle qui le hantera, tel un mauvais démiurge : boire. Il s’est fait matelot, le temps de l’apprentissage, il change de continent, découvre le Mexique et le Mescal, le Canada, il écrit et écrit, ne cesse d’écrire, de prendre et de reprendre son chef d’œuvre, Au-dessous du Volcan. Il aura passé sa vie au cœur d’un volcan, la lave en fusion de l’alcool le consumant, la littérature lui offrant par instants cette fraîcheur salvatrice. Les dessins de Frédéric Pajak prolongent le récit, par un paysage, un visage, un corps – celui de Lowry – une rue, un couple d’indiens, des éclats de fictions en noir, en gris, en blancs, qui irriguent la biographie vivace et vivante de l’écrivain qui tangue, chute et se relève.

« Sont-ce les doigts du sculpteur qui lui permettent de désapprendre ou ceux du dessinateur ? C’est un va-et-vient : il sculpte comme un dessinateur et dessine comme un sculpteur. Le plâtre, la terre, la mine de plomb, tout est bon pour refaire le monde ».

Pour écrire cette biographie et pour la dessiner, Frédéric Pajak voyage, se glisse dans les paysages que le sculpteur-dessinateur a vu dans son enfance, le village de Stampa, perdu au fond du Val Bregaglia ; les montagnes l’entourent et le soleil ne s’invite qu’en été, une austérité qui se roule dans l’ombre relève et dessine Frédéric Pajak. Nous allons suivre le fil de sa vie, de ses rencontres, de ses dessins, ses toiles et ses sculptures. Et une fois de plus l’histoire de la vie et des œuvres de Giacometti sont accompagnées des dessins de Frédéric Pajak, il se saisit de ces matières, les montagnes, la terre, mais aussi les visages, un temps dessinés par Giacometti dont il s’empare, en leur donnant une autre résonnance, une autre force, un autre écho. Près de deux cents dessins pour nous raconter l’histoire d’un artiste qu’admirait notamment Picasso, qui on le sait était avare de compliments pour les autres artistes.

La force du livre de Frédéric Pajak c’est de nous dévoiler la vie de ces deux étrangers en mouvement, la vie au cœur des mots, des paroles, et des dessins inspirés, qui deviennent les piliers de leurs créations.

« 17 mars 1916. – Tandis que Guillaume lit le dernier numéro du Mercure de France, dans la tranchée au Bois des Buttes, près de Berry-au-Bac, l’éclat d’un shrapnell le frappe à la tête. Le projectile traverse son casque et fait couler son sang sur les pages de la revue.

Huit jours plus tôt, un décret paraissait dans le Journal Officiel : Guillaume de Kostrowitzky a été naturalisé français ».

Je me souviens, pourrait écrire Frédéric Pajak en ouverture de cette réédition de Chagrin d’amour où l’on croise Guillaume Apollinaire dans l’exercice amoureux de la vie et dans celui de la guerre. Je me souviens de mes amours de jeunesse et d’un peu plus tard, je me souviens des lettres d’amour d’Apollinaire à Madeleine. Je me souviens de Duchamp, de Picabia et de Mondrian. Je me souviens de Charlie Rouse et Thelonious Monk qui s’accordent, le velouté du saxophone et les accords qui tanguent du pianiste. Les décors changent, les humeurs également, les amours s’effondrent et le narrateur se voit tomber. Ce livre, aux quelques trois cents dessins, augure des ouvrages que Frédéric Pajak dessinera et écrira ensuite : un univers gris et noir aux touches de blanc, aux traits vifs et pénétrants, portraits ambrés, transparents, comme des photos anciennes où le modèle posait face à l’objectif. Peut-être enfin, Frédéric Pajak pourrait ajouter, j’ai écrit et dessiné la nostalgie avec passion et joie.

 

Philippe Chauché

 

(1) https://www.lacauselitteraire.fr/manifeste-incertain-tome-ix-avec-pessoa-l-horizon-des-evenements-souvenirs-fin-du-manifeste-frederic-pajak-par-philippe-chauche

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A propos du rédacteur

Philippe Chauché

 

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Rédacteur

Domaines de prédilection : littérature française, espagnole, du Liban et d'Israël

Genres : romans, romans noirs, cahiers dessinés, revues littéraires, essais

Maisons d’édition les plus fréquentes : Gallimard, Minuit, Seuil, Grasset, Louise Bottu, Quidam, L'Atelier contemporain, Tinbad, Rivages

 

Philippe Chauché est né en Gascogne, il vit et écrit à St-Saturnin-les-Avignon. Journaliste à Radio France durant 32 ans. Il a collaboré à « Pourquoi ils vont voir des corridas » (Editions Atlantica), et récemment " En avant la chronique " (Editions Louise Bottu) reprenant des chroniques parues dans La Cause Littéraire.

Il publie également quelques petites choses sur son blog : http://chauchecrit.blogspot.com