Deux livres à peine lus : textes et prétextes par Kamel Daoud
Le pays des deux livres. L’un dicté par le ciel, l’autre dicté par une chaise. Celui du ciel est connu, dit, répété, psalmodié, mal compris, pas compris, imposé, détourné comme un avion, précipité sur les gratte-ciels ou les femmes ou les individus ou les libertés. Le livre du ciel ne sert pas, à certains, à éclairer le monde mais à le brûler, désormais.
Il suffit de regarder l’actualité : premier autodafé inversé de l’histoire : on use d’un livre pour brûler le monde, pas le contraire. Son premier mot est « Lis » depuis l’éternité prononcée. Parce que le désastre de l’analphabétisme semble être intemporel dans nos géographies : il fallait l’intervention d’un Dieu pour pousser les gens à lire !
Et cela semble n’avoir pas suffi quand on regarde Daech, El Qaïda, la campagne contre Benyounes ou le retour du FIS et la tenue du Sultan de l’AIS qui a avoué un meurtre à la télé sans faire bouger personne, sauf Ouyahia qui lui a servi du thé.
Le second livre, celui dicté par la chaise, est la Constitution. Femme violée, livrée, piétinée, semelle votée, loi fondée et dévergondée. A quoi cela sert une constitution dans les pays dits « arabes » ? A rire jaune puis à faire semblant de lire.
Bouteflika (encore un dans la liste des « Présidents » des pays dits « arabes ») est venu, a lu, n’a pas apprécié, il l’a changé puis épousé de force comme Barberousse la veuve du sultan d’Alger. La constitution a été adaptée pour lui, par lui, en passant par des députés miséreux cupides et corruptibles.
Quelques années plus tard, il n’en est pas content. Il la change. Les mêmes partis qui étaient pour le mandat à vie, veulent vendre au peuple de la semoule la formule des deux mandats non renouvelables. Un manège avec des chevreaux vieux et en plastique et avec des dents. Risible triste, comique.
L’ONU devrait interdire les constitutions chez certains peuples pour garder au mot « constitution » tout son sens. Sans cela, on va confondre la loi fondamentale et le papier mouchoir. L’affaire de la révision de ce texte résume aujourd’hui tout le risible algérien, l’ego, l’égoïsme et le mépris où l’on tient parqués les gens qui ont encore une flamme et pas seulement des dents.
Deux mandats ? Non, un mais à vie, divisé par deux. Parlementaire ? Oui, mais semi-présidentiel. Retour du FLN ? Ou premier chef de gouvernement ? La comédie humaine. Un texte que personne ne lit, que chaque président change comme une chaussure à sa convenance, qui ne pèse guère sur la décision politique et l’architecture des pouvoirs, qui est le sommaire exact de ce qui va être bafoué et qui n’est plus source d’autorité devant les Chouyoukhs, « imams » et muftis à la carte, sert à quoi ?
Mais ne peut-on pas nous économiser le débat pour aller directement vers le nom « familial » du prochain Président ?
Deux livres, l’un à peine lu, l’autre à peine pris au sérieux, se partagent des peuples qui lisent de moins en moins. Egarés et hallucinés entre fanatismes et soumissions.
Kamel Daoud
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