Destin d'un ange suivi de La Fourche, Jean-Jacques Marimbert
Destin d’un ange suivi de La Fourche, Ed. du Cygne décembre 2012, 91 p. 12 €
Ecrivain(s): Jean-Jacques MarimbertJean-Jacques Marimbert est un poète qui tord le cou à toute idée reçue sur la poésie. Il déplie un outillage énonciatif pour le moins inhabituel et dans tous les cas fascinant.
- Pour commencer, les deux textes qu’il nous offre dans ce beau recueil sont des histoires, avec un début, une fin, des événements, des héroïnes qui rêvent, qui souffrent. Le découpage de la versification n’empêche nullement de lire ces textes comme des nouvelles. Alors pourquoi versifier ? Pour deux raisons, essentielles dans l’art particulier de Marimbert :
La coupure des « vers » est la base rythmique fondamentale de toute lecture de ces textes. Jean-Jacques Marimbert est nourri de rythmes. La « tribune » de DJ Jazz qu’il tient sur FaceBook en est une illustration. Le superbe « work in progress » qu’il a publié dans notre cause littéraire (Blues for Charlie) en est une autre. La collision des sons, les ruptures, les assonances, l’obligation du vers créent une mélodie. Heurtée, rauque souvent mais une mélodie obsédante, qui l’est plus encore quand on entreprend de lire ces pages en une seule séquence, sans reprendre son souffle, comme dans une longue phrase de saxo. Il y a là une évidence de composition, le vers scandant le phrasé. Du narratif oui mais à entendre, au risque d’en perdre tout sens.
« Olivier né elle six ans demandait
d’où il venait Pierre parti depuis
longtemps des fessées aux poupées
arrachait jambes et bras Papa Georges
réparait disait c’est ta faute elle
n’en veut pas du petit et d’où il
vient on ne sait pas je gueulais
m’en foutais c’était ma vie moi
(…) »
- Cette langue poétique est, à part entière, une langue. Au bout de quelques pages on découvre une syntaxe, des champs lexicaux, des équivoques sémantiques, des retournements. A des vers très nominaux succèdent des vers très verbaux, encore une fois comme des souffles de riffs jazzy.
« … maison jardin
couronne d’iris fenêtres géraniums
petite cloche à côté de la porte
Marion grande tirait la chaîne se
cachait je chantais j’allais chez papa
… »
Jean-Jacques Marimbert distille avec ses outils les passions humaines, les malheurs. Ici deux portraits de femmes inoubliables dans leur souffrance, leur formidable dignité. « Destin d’un ange » est un cri de deuil terrible, celui qu’une mère ne peut proférer si ce n’est en son âme mais auquel le poète donne des mots. « La Fourche » est un entrelacs de souvenirs, d’amour et de haine. Ici la poésie n’est pas un long fleuve tranquille, ce sont les vents et marées de vies déchirées, meurtries.
Il faut lire la poésie d’aujourd’hui. Il faut lire Jean-Jacques Marimbert.
Leon-Marc Levy
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