Des petites filles modèles, Romain Slocombe
Des petites filles modèles, janvier 2016, 304 pages, 18 €
Ecrivain(s): Romain Slocombe Edition: Belfond
« Sais-tu rien de plus doux, ô mon amie qui tremble, que d’être là, tous deux… les yeux ravis, les cœurs mêlés, les mains ensemble ? »
Faut-il le rappeler, la Collection Remake aux éditions Belfond est d’une grande qualité, toujours singulière tant du point de vue du choix des écrivains contemporains que des œuvres choisies de notre héritage littéraire. Cette fois-ci, c’est Romain Slocombe qui s’y frotte ! Auteur de romans noirs, réalisateur, illustrateur, photographe, aimant le Japon et ses « signes » sadomasochistes, Slocombe revisite Les petites filles modèles de la Comtesse de Ségur. On devrait plutôt dire qu’il s’y prélasse, au service d’une jubilation du désir dont le plaisir tout court nourrit notre âme d’une question lancinante : est-ce que le bien ou le mal est au service du désir, au service de la perversion ?
À la suite de travaux d’agrandissement d’un parking situé à proximité de l’église de Rennes-le-Château, dans le département de l’Aude. Un manuscrit anonyme est découvert dans un cercueil en plomb. Écrit entre 1925 et 1930 apparemment par une femme et qui était posé à côté du corps de la défunte.
On ignore si ce manuscrit repose sur une quelconque vérité mais de nombreuses citations sont tirées d’œuvres d’écrivains tels que le Marquis d’Argens, Francis Lacassin, Dom Augustin Calmet, Matthew Gregor Lewis, Théophile Gauthier, Bram Stoker, Sheridan Le Fanu, Octave Mirbeau, Jean Ray, Pierre Louÿs, ou encore Jean-Jacques Rousseau et le marquis de Sade.
L’auteur, comme sous l’effet d’un miroir mental, interroge notre humanité, notre résilience, notre résistance face à ces temps modernes tourmentés par d’autres convulsions moyenâgeuses mais tout aussi dogmatiques et qui voudraient nous asservir dans notre corps – dans nos idées, tout en réduisant l’espace de nos mouvements, de nos vertus, de nos délicieuses et malicieuses faiblesses…
Mais l’humaine vérité est le creuset rempli de culpabilité, de frustration, de domination, d’interdit, de plaisir et de désir. Vision de cette liberté qui place l’être humain, qu’il soit écrivain, artiste, lecteur, dans un combat essentiel, celui des champs de la diversité et des possibles, gage de notre survie dans la mémoire des âges. Mais aussi et surtout face à la vision d’une fidélité, celle de nous-mêmes, voyageant dans les méandres des fleurs du bien et des Fleurs du Mal. Plaisir ardent de désir, c’est-à-dire dans la recherche à la soumission raffinée de l’extase, où le sang et la sève ne sont que les deux et mêmes ferments de la vie et de la mort. Pour le reste tout n’est qu’une question de morale – et comme toute morale est toujours celle des autres alors autant ne pas en tenir compte. Tout un programme !
Sommes-nous seulement encore conscients que le désir soit plus intime que les idées ?
Et si nos passions, dans un cabinet de pénitence, n’est autre que la nature même de l’ouvrage de Dieu ?
Même le bien, avec toutes ses contradictions, tous ses détours, nous le voyons sous la plume de l’auteur, ne vaudrait rien s’il ne peut s’exercer que dans la plénitude d’une certaine forme de vampirisme, permettant aux êtres de s’absoudre de leurs péchés. Prétention insensée alors que d’être le second créateur mais plus puissant que le premier !
Perversion ultime, sans doute, que cache le doux plaisir de l’envie et de la luxure auquel nous ne pouvons résister, pétrissant alors de nos mains l’argile même de sa création jusqu’à la destruction !
« J’aime les mains abandonnées des jeunes filles,
Les mains frêles, petits oiseaux apprivoisés,
Les mains qui tendrement se laissent caresser
Et qui, comme la bouche, aux baisers sont sensibles…
Pardonnez-moi. Je suis méchante et vous pleurez
Mais je souffre de tout, du bruit de votre robe,
Du bonheur des rosiers, des poèmes secrets…
Ah ! Je reviendrai aux premiers froids de l’aube.
Mais parlez donc. Vous voyez bien que je suis ivre.
Remportez votre broderie et vos ciseaux.
Laissez-moi seule avec ces roses et mon livre !
Poison de fleurs ! Vertu du ciel ! Cris d’un oiseau ! »
Les Mains (extrait), recueil Le Laurier et les Roses, Henry Rigal, 1909, éditions Grasset
Dans son remake, Romain Slocombe distille un doux parfum inquiétant, érotique en mettant l’œuvre de la Comtesse de Ségur en résonance avec l’esprit du Marquis de Sade, à l’image d’une cruauté souterraine du destin, écrit en lettres de sang, entre vérité et légende construites ou non autour d’Elisabeth Bathόry, Comtesse sanglante des Carpates. Comtesse ou Marquise, objet du désir ou plaisir libertin, serions-nous seulement capables de dire non ? Alors, dites oui à la lecture de ce nouveau livre de Romain Slocombe et vivez l’éclosion de ses petites filles modèles sous les lèvres de la passion, sous l’ivresse des caresses, sous les dents acérées de l’auteur, ça va saigner !
Article écrit par Marc Michiels pour Le Mot & la Chose
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