Des livres en fête !
Pas un, ni deux, ni trois ! Ce sont quatre livres en fête qui vous donnent rendez-vous. La page 2013 se tourne, vive celle encore blanche de 2014 et les belles lignes qu’elle va nous permettre d’écrire tous, un livre à la main… Au programme : du Picasso, de la peinture flamande mâtinée de spiritualité chinoise, la biographie d’un grand explorateur par le plus psychologue des auteurs autrichiens, et un tour du monde luxueux. Suivez le guide !
Picasso, portrait intime
Pour démarrer cette sélection de beaux livres qui méritent tous d’entrer dans votre bibliothèque avant la fin de la semaine, voici une énième biographie du peintre le plus commenté de l’ère moderne. Avec Picasso, portrait intime (parution Arte Editions/Albin Michel), secrets, mensonges et merveilles restent en famille. L’auteur n’est autre qu’Olivier Widmaier Picasso, petit-fils de Pablo et fils de Maya (pas l’abeille, le fruit des amours de Picasso et Marie-Thérèse Walter). Avec une telle proximité d’intérêt, la question de l’objectivité de l’ouvrage se pose forcément. Dès le livre ouvert, celle-ci devient moins pertinente et, les premières pages avalées, s’envole carrément. Est-ce cette fameuse proximité par le sang d’Olivier Widmaier, ou bien la distance évidente d’avec son grand-père, mais le charme agit.
L’icône est omniprésente, certes. Pourtant, le titre ne vole pas le lecteur, qui en a pour son argent et son temps, ce livre étant aussi abondamment illustré qu’un catalogue de rétrospective. Les découpages et thématiques apportent structure et intelligence à la narration. Portrait intime : presque oxymore. Un portrait, c’est public, rationnel, objectif. Regardez ceux des grands de la cour d’Espagne. Il faut vraiment s’appeler Goya ou Vélasquez pour les faire mentir. Regardez ceux de l’Elysée…
Comment parle-t-on de l’intimité d’un génie ? Ce livre, finalement modeste et généreux, y répond. Un génie, en l’occurrence celui-là, c’est un homme, avec de la chair autour, des femmes, une vocation. Des amis, des emmerdes, des engagements, des défauts, des obsessions, des lâchetés, un caractère de cochon et des lueurs sublimes, subtiles. On aime lire sa passion entre les titres, elle est contagieuse. Rien ne témoigne mieux du Picasso intime que sa peinture, et ses vacheries artistiques. Lui, le génie, il jalousait Matisse. Picasso, la forme. Matisse, la couleur. Picasso avait de l’admiration pour le travail de Matisse. Et vice versa.
« Au fond, je dois être un poète qui a mal tourné ». Lucide Picasso. On a beau avoir tout lu sur le taureau madré, cette bio pas comme les autres le donne à voir de face et de profil, sous les rares clichés de quelques grands : David Douglas Duncan, Edward Quinn, André Villers, Lucien Clergue, Man Ray, Michel Sima, Robert Capa, etc. A Paris, on attend la réouverture du musée Picasso de l’Hôtel Salé, dans le Marais, en juin prochain. Après 5 ans de travaux, sa surface d’exposition a doublé : 3800 m² pour 34 salles. Le musée détient plus de 5000 œuvres de Picasso (4000 gravures et dessins, 300 tableaux, 300 sculptures) et sa collection personnelle qui, elle, compte des Matisse et Cézanne. De nouvelles curations seront mises en place, avec une grande expo thématique par an. La première du genre aura lieu à l’été 2015, en coproduction avec le MoMA, explorant Picasso et la sculpture. Chaque année, « tourneront » plusieurs Picasso rarement vus en France, prêts de musées étrangers, et une carte blanche sera annuellement donnée à un artiste contemporain. Coup d’envoi début 2015 avec son compatriote, le plasticien, Miquel Barceló.
L’esprit de la peinture. Hommage aux maîtres flamands
Fabienne Verdier n’est pas connue du grand public. Ses œuvres à cheval entre deux mondes font l’admiration des connaisseurs. Il y a du mystère chez cette femme quand on la rencontre. Une chose solitaire, sauvage derrière la longue couette noire, l’habit d’homme, un faux air de Jane Campion. Son travail pictural (principalement des diptyques, triptyques et polyptiques) interpelle à plusieurs niveaux. Il y a quelques mois, est sorti L’esprit de la peinture. Hommage aux maîtres flamands aux éditions Albin Michel. Cette parution témoigne d’une transition dans son parcours. L’artiste était invitée par le Groeninge Museum de Bruges à exposer au cœur des collections permanentes. Les heures de la peinture flamande (lire sur « L’Eloge de la folie illustré par les peintres de la Renaissance du Nord ») y dialoguaient étonnamment avec le temps calligraphique. Fabienne Verdier avait déjà puisé inspiration dans l’univers de Rogier van der Weyden, né Roger de la Pasture. Cette exposition croisée est en soi une prouesse : c’est l’une des toutes premières fois qu’un artiste contemporain vivant accroche son travail à côté d’art ancien.
Le parcours de Fabienne Verdier est à l’image de ses grands ensembles polyptiques. Etudiante aux Beaux-arts au début des années 1980, elle part en Chine y étudier la calligraphie traditionnelle auprès de maîtres de cette discipline. Des artistes-trésors vivants inquiétés par le régime populaire, à la marge du Parti. Verdier passera 10 ans dans cette marge, hors l’Occident, à se familiariser avecL’unique trait de pinceau (le titre de son livre, également chez Albin Michel, 2001). Se donnant complètement à son art qui est finalement technique méditative et cheminement spirituel. Rentrée à l’Ouest, elle couche sur le papier ses ombres chinoises dans Passagère du silence (Albin Michel, 2003, Grand Prix des Lectrices Elle 2004). Un livre où l’artiste s’incline devant des millénaires de sagesse taoïste. Mais, son grand livre du Rien, ou du Tout, elle l’écrit dans son atelier.
Phase 1 : délimiter une surface. La peintre encre des châssis au sol à plat. Elle marche, s’accroupit, revient, vit penchée à la surface.
Phase 2 : l’appel du « Wild », du sauvage. Le pinceau est l’outil du calligraphe. Ceux de l’artiste peuvent mesurer 2 mètres et peser jusqu’à 70 kilos une fois imbibés. Suspendus à l’aide de poulies, de dix mètres de cordage, au bout d’un balancier, elle l’étreint de son corps, ou le promène sur la surface à peindre avec un guidon de vélo. Ils sont faits de poils de lièvres, de moutons, de martres… Fabienne Verdier compose elle-même la matière de ses pinceaux suivant le rendu désiré. Parfois, avec la queue entière d’un cheval.
Phase 3 : le goutte-à-goutte de l’encre. Déambuler sur ou autour du panneau est, pour Verdier, un moyen de s’oublier dans le trait.
Emmené par l’artiste et le commissaire d’exposition Daniel Abadie, L’esprit de la peinture comporte 6 séquences, une pour chaque œuvre d’un maître flamand. Fabienne Verdier commente et rapproche chacune, dans un langage clair, de son monde intérieur et pictural.
Pour ceux que son travail intéresse, faites un tour à la galerie Jaeger Bucher à Paris. Aussi son site Internet :
http://www.fabienneverdier.com/index-FR.html
Magellan
« Les livres peuvent naître des sentiments les plus divers. Parfois, c’est par besoin de s’expliquer à soi-même des hommes ou des événements qu’on prend la plume. En ce qui concerne ce livre, je sais parfaitement pourquoi je l’ai écrit : il est né d’un sentiment peu courant, mais très énergique, la honte ».
Quand Stefan Zweig publie enfin sa magistrale (quoique très personnelle) biographie de l’explorateur Fernand de Magellan, nous sommes en 1937. Deux ans avant le début du conflit mondial. Cinq ans avant que son auteur se donne la mort, au cœur des ténèbres brésiliennes. Avec Arthur Schnitzler, Zweig l’autrichien est sans doute le plus fin connaisseur des tourments de la psyché humaine. Il est obsédé par « les rêves oubliés », « la confusion des sentiments », le passé, la guerre. Redécouvrir sa vision de Magellan, c’est aussi raviver un Zweig bondissant en narrateur des pôles. L’éditeur Paulsen propose cette ressortie de Magellan en beau livre. Cartes, gravures anciennes, eaux-fortes, carnets de bord, près de 300 photos et documents inédits, un régal !
Les récits de mer sont toujours fascinants. Les plus jeunes vont y trouver matière à rêver. Les « grands » vont embarquer à bord de l’une des cinq coques de noix que Charles Quint avait allouées à l’intrépide navigateur portugais. A l’origine, il s’agissait de contourner la barrière des Amériques pour faire passage vers les mers australes. Dans les faits, l’expédition va tourner au cauchemar. Mutins, froid, découragement auraient dû avoir raison de l’entreprise. Stefan Zweig n’y ménage pas l’idole. Magellan y est son miroir : obsessif et complexe, mû par l’irrépressible désir de la conquête et la vanité de penser. Il réduit les rations alimentaires de ses hommes, décapite ceux qui le menacent ou le trahissent. Zweig l’épargne parfois. Lors de l’épisode de la « mutinerie de Pâques », les instigateurs sortent graciés. Mais Zweig se sert de l’incident pour montrer la rouerie et le cynisme qui remplacent les vertus humaines chez son personnage, car « à des milliers de lieues de l’Espagne, il ne peut pas se priver d’une centaine de bras ». Pour Magellan, comme pour Zweig, la victoire est une flèche empoisonnée.
Le grand livre du luxe
Plus de légèreté pour finir, avec Le grand livre du luxe sorti chez Eyrolles. Ecrit par Jean Castarède, essayiste spécialisé sur le sujet, ancien de l’ENA, HEC, fondateur du MBA luxe de l’Ecole des Dirigeants & Créateurs d’entreprise de Paris, et préfacé par l’ancien vice-président du groupe Richemont et président de la société Cartier, Alain-Dominique Perrin. Ce « grand livre » pas si superflu nous parle du luxe, pays après pays, époque après époque. En trois grandes parties : le luxe d’avant notre ère, le luxe des autres continents, le luxe européen.
Le luxe est aujourd’hui une notion galvaudée, abondamment illustrée dans les médias qui vendent son actualité. Ce livre ouvre d’autres perspectives, plaisantes à feuilleter. On apprend beaucoup sur l’art de l’apparat, de la préhistoire à nos jours. Dans les temps reculés, l’homme n’était pas moins frivole ou superficiel que nous. Il aimait se parer, passer du temps ou dépenser de l’argent sur des objets dispensables pour simplement jouir de leur beauté, du rang ou du prestige qu’ils lui apportaient. Sans mondialisation, sans publicité tapageuse, le « luxe », si on veut l’appeler ainsi, a toujours accompagné l’homme dans sa quête vers plus de beauté.
Sans cela, nous n’aurions pas d’antiquités, pas de pièces de musées à admirer, pas d’héritage. Pas d’histoire du tout, en fait. Le large propos de cet essai nous entraîne sur les sentiers de la science, de l’art, de la croyance. Débauche de luxe, ou ébauche de lumière ? En tout cas, un livre éclairant et informatif sur l’histoire mondiale (et oubliée) du luxe.
Article écrit par Stéphane Chemin pour Le Mot et la Chose
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A propos du rédacteur : Artiste et collaborateur régulier au Mot et la Chose. Stéphane Chemin est passionné d’Arts et de digital. Il combine ces deux attraits à travers ses lectures.
(Vœux 2014 Stéphane Chemin pour Le Mot et la Chose ; Picasso, portrait intime, d’Olivier Widmaier Picasso, Coédition Arte éditions/Albin Michel, sortie octobre 2013, 150 illustrations, 320 pages couleur, 35 € ; photo de Pablo Picasso par James Lord, Paris, 1945 ; L’esprit de la peinture. Hommage aux maîtres flamands, de Fabienne Verdier, éditions Albin Michel, sortie mai 2013, 210 pages, 59 € ; photo de Fabienne Verdier par Stéphane Chemin, Paris, 2013 ; Magellan, de Stefan Zweig, éditions Paulsen, traduit de l’allemand par Alzir Hella, sortie octobre 2013, 200 illustrations, 336 pages, 56 € ; Le Grand livre du luxe de Jean Castarède, éditions Eyrolles, sortie novembre 2013, 368 pages, 25,90 €).
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