Des kilomètres à la ronde, Vinca Van Eecke (par Patrick Devaux)
Des kilomètres à la ronde, Vinca Van Eecke, août 2020, 240 pages, 18 €
Edition: Seuil
L’auteure nous propose un premier roman avec un vrai style, très personnel et à l’ambiance particulièrement bien rendue, plongeant le lecteur dans une réalité scénarisée et très immédiate :
« Huit cents mètres caniculaires à arpenter, mon jean pesait une tonne. A la hauteur du Bar de la Source, Franz gara sa Suzuki sur le bas-côté de la route en repoussant sa visite ».
La vie s’écoule ainsi entre pêche à l’étang et foire événementielle où, presque symboliquement, Vinca Van Eecke transforme le moment en instant magique : « On était deux à compter ce qu’il nous restait de monnaie pour le stand à pinces, Laurène, douée d’une prédisposition pour le grappin, moi, malgré mes tentatives répétées, qui ne ramenais jamais rien, ni bracelet en toc, ni bibelot clinquant, ni la moindre peluche made in China quand Phil nous accosta… ».
Monde de jeunes où chacun, à tour de rôle, semble chercher l’autre ailleurs qu’où il pourrait se trouver avec vifs déplacements motorisés entre leurs lieux établis pour les rendez-vous de ce clan aux codes bien rodés. Touriste intégrée progressivement dans la bande du village, la narratrice éprouve régulièrement la nostalgie de leur absence en d’autres lieux : « Trois ans de lycée. Les camarades que je côtoyais sous le préau goudronné firent de leur mieux, sans jamais parvenir à ramener mon esprit juché à califourchon sur la selle des mobylettes ».
Ainsi existe-t-on vraiment que dans la réalité et non dans les apparences (entre eux ils l’appellent « la bourge ») : « Jimmy attacherait ses doigts aux miens, il dirait “ma femme”, et je recommencerais à exister » se dit l’héroïne. Ambiance avec quelque chose des feuilletons américains où les prénoms des mômes aux consonances souvent « rock » grandissent entre accélérations vives et juke-box.
Tendre observation des êtres confinés dans un genre avec pour certains les références de Jim Morrison, vie amoureuse de la narratrice incluse : « Toute la matinée, il déambulait nu, de pièce en pièce. Le défilé des autres ne l’incitait pas à s’habiller et il n’y avait plus que Mallow pour rougir pendant qu’il vaquait à ses occupations ».
Le ton donné est saisissant d’hyperréalisme.
Dans cette errance à plusieurs, la vie fait son nid mais aussi la tragédie, la mort et la recherche d’intensités parfois dangereuses : « Des bombes de couleurs flashy explosèrent dans leurs neurones, des engrenages et des transparences leur livrèrent les clés de l’univers ».
Autant de tentatives pour vaincre l’ennui…
Le temps aura-t-il raison ou non de la routine ?
« Peut-être qu’il n’aurait jamais le courage de s’arracher de là, ponton des jours identiques et bien alignés qui les tenait à l’abri du large. A présent, il me semblait que c’était aussi leur faute, qu’ils avaient beaucoup râlé contre le brise-lames de l’ennui sans vraiment chercher à le dépasser » : se sentant distanciée psychologiquement et physiquement, l’héroïne tente une sortie de l’engrenage y compris amoureux, l’aventure ne résistant pas à la différence de milieu.
Mais… la nostalgie préexistante chez tous les membres de la bande a agi sans doute malgré elle, et elle retourne sur les lieux de son adolescence et début de jeunesse des années plus tard. Un film encore autre se déroule alors sous ses yeux avec ce qu’on peut imaginer de vies poursuivies autrement pour chacun. Les héros n’existent-ils que dans nos souvenirs ? Faut-il y revenir quand on les croise ou bien rester observatrice d’un moment quand la vie poursuit sa route ?
Le livre est tellement bien scénarisé que l’impression de visionner un film est très prenante et même quand on « rebobine » certaines séquences, le lecteur pouvant, à sa guise, se mettre dans un des rôles proposés par la romancière.
Patrick Devaux
Vinca Van Eecke, née en 1974, écrivaine française et responsable de publications, exerce essentiellement dans le milieu du cinéma. Des kilomètres à la ronde est son premier roman.
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