Des clairons dans l’après-midi, Ernest Haycox
Des clairons dans l’après-midi, traduit de l’Anglais (USA) par Jean Esch, novembre 2013, 357 pages, 23 €
Ecrivain(s): Ernest Haycox Edition: Actes Sud
Un western explorant les profondeurs psychologiques
Des clairons dans l’après-midi est un roman sur le western mais avec une originalité rare car l’auteur prend soin de brouiller les codes du western. En effet, les personnages ont plus d’épaisseur psychologique. Ainsi, Kern Shafter est un être taciturne. Trahi par la femme qu’il aime, dénoncé par son rival, il est déchu de son grade d’officier. Des années ont passé mais n’ont pas effacé pour autant l’affront. Kern est déterminé par la vengeance et traverse les terres poussiéreuses et désertiques de l’Ouest pour retrouver l’homme qui a été responsable de son malheur.
Ernest Haycox ne dépeint pas ici le portrait d’un héros solaire. Il s’attarde sur la personnalité complexe de Kern et le duo qu’il forme avec Josephine Russell. En effet, loin du stéréotype de la femme fatale qui peuple le roman du western, Josephine est d’une autre facture. Elle représente la force tranquille et l’indépendance d’esprit faisant fi des conventions sociales qui régissent son sexe. Elle aime Kern mais cependant n’hésite pas à lui jeter à la figure ses défauts et faiblesses : « Vous avez été blessé une fois et vous avez cessé de grandir. Vous avez passé les dernières années de votre vie à rapetisser, à vous éloigner, de peur de souffrir encore. Vous avez brillamment réussi à vous transformer en homme insignifiant, Kern. Vous avez peut-être été un homme remarquable. J’y ai souvent pensé et ça m’a fait de la peine de voir un tel gâchis ».
Le lecteur peut voir Josephine Russell comme l’épreuve de Kern. Saura-t-il surmonter sa propre peur, sa méfiance de la femme pour enfin goûter au bonheur ? Josephine Russell représente la possibilité d’une vie autre. Contrairement à la female betrayed ou la tenancière de saloon, Josephine Russell est la figure d’un rachat, d’une rédemption possible pour Kern. De même, le manichéisme n’est pas non plus de mise et le traître, l’ami devenu ennemi, n’est pas un homme aussi méchant que cela. Garnett, l’homme par qui le malheur est arrivé dans la vie de Kern, est peut-être plus proche d’un marquis de Valmont que d’un vulgaire coureur de jupons. Le lecteur se surprend à le préférer à certains moments à Kern qui semble manquer d’humanité, lui qui est drapé dans son honneur blessé.
Cependant, comme tout western qui se respecte, la virilité d’un homme se mesure au champ de bataille. C’est pourquoi, les clairons dans l’après-midi sont aussi un chant de guerre. La bataille, la guerre et la confrontation avec l’autre, couvent depuis le début du roman. Elles n’éclatent que vers la fin comme le bouquet final d’un feu d’artifice et laissent Kern meurtri dans sa chair. Le cœur abdique enfin et laissant tomber les rancœurs de jadis, Kern revient à la vie après avoir vu la mort. La bataille de Little Big Horn est magnifiquement décrite. Le lecteur semble voir dérouler devant ses yeux toute la machinerie hollywoodienne pour mettre en exergue la violence des combats et la bravoure des hommes et des bêtes. L’Indien n’est pas réellement au cœur de la description de l’auteur et cette absence de détail et de présence physique de l’Indien le rend encore plus redoutable car il a fait tomber tant de braves.
En conclusion, le roman de Ernest Haycox est non seulement un roman consacré au western mais aussi un récit d’aventures sur fond historique.
Victoire Nguyen
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