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Des anges dans la neige (Snow Angels, 1994), Stewart O’Nan (par Léon-Marc Levy)

Ecrit par Léon-Marc Levy 02.04.25 dans La Une Livres, Les Livres, Critiques, L'Olivier (Seuil), Roman, USA

Des anges dans la neige (Snow Angels, 1994), Stewart O’Nan, Éditions de l’Olivier, 2016, trad. américain, Suzanne V. Mayoux, 287 pages, 13,90 €

Ecrivain(s): Stewart O’Nan Edition: L'Olivier (Seuil)

Des anges dans la neige (Snow Angels, 1994), Stewart O’Nan (par Léon-Marc Levy)

 

Il s’agit du premier roman de Stewart O’Nan et, déjà, les thèmes et la mélopée sombre de son œuvre murmurent tout au long du livre. O’Nan est, de tous les romanciers américains d’aujourd’hui, probablement le plus… américain. Ses sources plongent profondément dans la vie quotidienne de la middle class se tenant aux limites de la pauvreté matérielle et en plein dans la pauvreté culturelle. Le talent de O’Nan tient dans son regard empathique sur ses personnages et dans son écriture glissando, sur tous les tons de gris comme est la vie des gens dans ce livre.

Un coup de feu létal sonne le lever de rideau et le roman décortique les éléments qui ont mené au drame. Annie est morte et le roman est l’histoire d’une structure implacable des choses qui mènent à cette mort. Petites choses en apparence qui scandent la vie sans relief de la classe moyenne de l’une des provinces américaines les plus grises, la Pennsylvanie : amours, désamours, fâcheries, divorces.

Au sein de l’ennui et la petitesse, se nouent en fait des drames, des tragédies qui emportent les esprits faibles dans leurs tempêtes. Les petites gens ont aussi droit à leur fatum, à leur chœur, à leur malédiction. En ces territoires de la monotonie du quotidien, l’ennui des jours, les relations amoureuses et familiales tiennent lieu d’aventures, de vents et marées de la haute mer.

O’Nan possède un talent éclatant pour murmurer les histoires des petites gens et transformer ce murmure, imperceptiblement, en un torrent. L’insignifiance des lieux semble métaphore de la petitesse des personnages. Comme dans cette image perçue par le narrateur alors qu’il revient, après de longues années, vers son lieu de naissance et qui ressemble à la topographie même de ce roman qui décortique les pièces d’un engrenage apparemment sans relief.

À quatre-vingts kilomètres de Pittsburgh, le pilote plonge sous les nuages, et j’aperçois la ville ? Ce n’est pas grand-chose, le centre agglutiné autour de Main-Street qui absorbe la Route 8, puis le pont, la voie ferrée qui serpente au long du Connoquenessing, les bâtiments bleus de l’usine Armco. Des voitures rampent à l’assaut de la longue côte. […] Le centre commercial qui fut neuf. La gare postale avec ses rangées de Jeep. Le Foyer pour enfants handicapés – rebaptisé, entre-temps, Centre de rééducation – où ma mère continue de travailler. […] Il me semble que si je me concentre sur les détails, à l’instar de ma sœur quand elle reconstituait l’image de la Russie morceau par morceau, je pourrai me faire une idée cohérente de l’ensemble, que je comprendrai enfin tout ce qui s’est passé autrefois, alors que c’est impossible et que je le sais.

Le pays lui-même est un murmure à peine audible, une sorte de lieu de mort plus que de vie, comme cette ville engloutie naguère pour faire place aux eaux d’un lac de barrage.

Le père de Glenn et son vrai père sont nés tous les deux sous le lac, et, chaque fois qu’il le longe en voiture (ou à l’église, quand il regarde par la grande baie vitrée derrière l’autel), Glenn pense à la ville, là-dessous, aux rues, aux maisons et aux fermes expropriées par l’administration du parc. Elle figure encore sur certaines cartes : Gibbsville. Son père possède un gros album de photos. Glenn se rappelle quand il emmenait toute la famille à l’endroit où la vieille route disparaissait sous le clapotis de l’eau qui faisait onduler les lignes jaunes. Il se souvient d’avoir vu un clocher au loin, seule la pointe de la flèche dépassait, mais il est trop éloigné sur les photos.

La religion est le refuge des âmes dans ce désert humain. Des croyances primaires, au bord de la superstition, plus proches de l’appel au secours que de la vraie croyance. Comme dit Rita : « on ne s’ennuie jamais dans l’amour de Dieu ».

Il ne s’agit pas d’amour de Dieu mais de la frénésie du désespoir qui va mener Glenn, assailli par les pertes qui le dévastent, au pire.

Stewart O’Nan a inauguré son chemin romanesque par cette fresque des Petits. Toute son œuvre y restera profondément attachée.

 

Léon-Marc Levy



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A propos de l'écrivain

Stewart O’Nan

 

Stewart O’Nan, né en 1967 à Pittsburgh, vit à Avon (Connecticut). Il publie son premier roman en 1987 et, depuis, a construit une œuvre forte et variée, qui explore divers aspects de la société et de l’histoire américaines. Son roman Des anges dans la neige a été adapté au cinéma en 2007 par David Gordon Green sous le titre Snow Angels.

 

A propos du rédacteur

Léon-Marc Levy

 

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Directeur du Magazine

Agrégé de Lettres Modernes

Maître en philosophie

Auteur de "USA 1" aux éditions de Londres

Domaines : anglo-saxon, italien, israélien

Genres : romans, nouvelles, essais

Maisons d’édition préférées : La Pléiade Gallimard / Folio Gallimard / Le Livre de poche / Zulma / Points / Actes Sud /