Des ailes dans la nuit, Jane Yolen, John Schoenherr (par Yasmina Mahdi)
Des ailes dans la nuit, Jane Yolen, John Schoenherr, éditions D’Eux, janvier 2021, trad. anglais (USA), Christiane Duchesne, 36 pages, 13 €
Ode au Grand-duc
John Schoenherr, auteur de ce superbe album, Des ailes dans la nuit, est né en 1935 à New York, et décédé en 2010. Il a reçu la médaille Caldecott en 1988 et a été intronisé comme illustrateur en 2015 dans la Science Fiction and Fantasy Hall of Fame du Museum of Pop Culture. Jane Yolen, née en 1939, également à New York, surnommée Andersen des États-Unis, a publié plus de 200 romans, et rédigé le texte de cette réédition de la maison canadienne D’Eux. Le thème nocturne est central dans cet ouvrage jeunesse d’une grande teneur esthétique, picturale et littéraire. Les première et deuxième de couverture annoncent une aventure crépusculaire, hivernale, comme l’indiquent les branches dépouillées de leurs feuilles. Ce livre-jeunesse est très maniable, élégant, conçu au format de 20x27,5 centimètres.
L’histoire se déroule dans le grand nord, où les étendues de neige recouvrent les montagnes, les jardins, les forêts, les toits des maisons. L’on imagine les surfaces immenses, les lieux naturels, le biotope qui héberge une flore et une faune secrètes. En ce qui concerne les conditions climatiques, l’hiver est rude, l’été chaud, les températures extrêmes. Ainsi, les jeunes enfants, en découvrant les aquarelles précieuses de John Schoenherr, pénètreront dans une parcelle de ce territoire canadien fort de 10 millions de kilomètres carrés, et contenant plus de 31.700 lacs. 300 millions d’oiseaux viennent se reproduire dans cette forêt boréale, où l’on trouve une majorité de conifères. Les ours, les caribous, les wapitis, les castors, les lynx, les loups, les cerfs, et encore bien d’autres espèces, y vivent à l’état sauvage.
Et c’est en accompagnant les deux marcheurs téméraires, que nous partons sur les traces d’un oiseau mystérieux, noctambule, le Grand-duc. Les aquarelles parfaites de John Schoenherr agrémentent chaque page et chaque avancée au cœur du bois géant, enrichies du texte de Jane Yolen, proche de la poésie contemporaine, sans assonances, aérien, sensible. L’histoire Des ailes dans la nuit est construite à partir du registre naturaliste confronté au conte, dans lequel une petite fille, grâce à son père, s’aventure à l’heure du loup dans la forêt silencieuse, glacée, à la recherche du deuxième plus grand des hiboux d’Amérique. La vision nocturne est signifiée par la lune qui se réverbère sur la neige et par la petite lampe de poche de son père. Dans la blancheur immaculée, les pas impriment une trace éphémère. La randonnée initiatique s’effectue depuis la grande ferme familiale, dans le but de déceler la présence de l’oiseau nyctalope.
Un bleu-gris glacé coule sur les ombres des paysages d’un blanc éclatant. La gamme chromatique de Schoenherr est sobre, l’impression aquarellée de facture classique, se rapportant à la grisaille de l’hiver et à l’entre-deux de ce moment qui apporte une touche unique, uniformisant la densité de l’air et de l’espace, en un demi-jour étrange et pénétrant Infra horam vespertinam, inter canem et lupum, le moment où l’on ne distinguerait pas un chien d’un loup. Les randonneurs débusquent enfin l’effraie géante, une statue dorée, aux ailes déployées sans bruit, et c’est là le but de ce voyage initiatique, une ode au Grand-duc d’Amérique ou de Virginie, le Bubo virginianus. Les points de vue sont un peu cinématographiques, avec des éclairages en plongées et en contre-plongées. Cet album précieux est un premier carnet de voyage, traduisant un amour et un respect de la nature, abordable dès l’âge de 6 ans.
Yasmina Mahdi
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