Identification

Dernières nouvelles, Jim Harrison

Ecrit par Gilles Banderier 05.12.17 dans La Une Livres, Les Livres, Critiques, Nouvelles, Flammarion

Dernières nouvelles, octobre 2017, trad. anglais (USA) Brice Matthieussent, 300 pages, 21 €

Ecrivain(s): Jim Harrison Edition: Flammarion

Dernières nouvelles, Jim Harrison

 

Aucun général ne devrait mourir ailleurs que sur le champ de bataille et aucun écrivain ailleurs qu’à sa table de travail, parce que ce sont les lieux où s’accomplit leur destin. Jim Harrison est mort le 26 mars 2016, comme doivent mourir les écrivains, à son bureau, en train de composer un poème. Il avait soixante-dix-huit ans. Les quantités de nourriture, d’alcool et de tabac qu’il absorba au cours de sa relativement longue existence étaient un défi lancé à toutes les normes diététiques et hygiénistes mises en œuvre dans son pays, puis importées en Europe : « ne pas manger trop gras trop salé trop sucré cinq fruits et légumes par jour à consommer avec modération manger bouger fumer tue ». Mais nous ne sommes pas seulement redevables aux États-Unis de cette litanie déprimante. Nous leur devons également, entre autres choses, l’œuvre de Jim Harrison, qui excellait dans la composition de novellas, des récits plus longs que des nouvelles au sens classique du mot, mais plus courts que des romans ; le plus célèbre étant Légende d’automne. Ces Dernières nouvelles recueillent les trois ultimes récits écrits par Jim Harrison au moment de sa disparition.

L’affaire des Bouddhas hurleurs a fait l’objet d’une prépublication dans l’excellente revue America de François Busnel (la traduction, toujours excellente, de Brice Matthieussent avait subi quelques retouches mineures. On aurait aimé voir reprises en volume les belles illustrations de Karolis Strautniekas). Harrison arrive à se couler aussi bien dans l’esprit d’une fermière du Montana, dont l’existence se déroule de part et d’autre du second conflit mondial, que dans le cerveau riche en obsessions diverses (et typiquement harrisonniennes) de l’inspecteur à la retraite Sunderson, amené à infiltrer une secte zen du Michigan, dirigée par un gourou californien. Les lecteurs qui, pour cause de mauvais esprit ou de cartésianisme impénitent, n’ont ni l’envie ni la volonté de prendre au sérieux cette sagesse millénaire qu’est le zen, penseront à la secte de Mount Baldy, où feu Leonard Cohen avait atterri de 1994 à 1999. Dans les deux cas, les adeptes se nourrissent de riz, de légumes et ne boivent pas d’alcool (le maître, lui, ne subit pas de restrictions, de quelque ordre que ce soit). Grande différence : les membres de la secte décrite par Jim Harrison passent beaucoup de leur temps quotidien à pousser des hurlements (d’où le titre), ce que ne faisait pas Leonard Cohen. On ouvre cet ultime recueil comme on retrouve un vieil ami, dont on pressent ce qu’il va nous dire, autour d’une côte de bœuf et d’une bonne bouteille. On s’installe dans l’univers roboratif de Jim Harrison et on en accepte les lois. Quel est le point commun à des trois récits, où la part de l’autobiographie est à la fois évidente et normale (comme disait Bukowski, on ne rêve pas les rêves de son voisin) ? La liberté, l’envie d’aller, de venir, de manger, de boire, de fumer, de ne rien faire, etc. Une leçon éminemment américaine, venue de ce pays qui a érigé la liberté et le bonheur en valeurs cardinales, malgré des forces adverses de plus en plus virulentes. Message ultime : « […] la seule chose qui comptait dans la vie était de savoir si, oui ou non, on avait l’âme en paix ».

 

Gilles Banderier

 


  • Vu : 4515

Réseaux Sociaux

A propos de l'écrivain

Jim Harrison

 

Jim Harrison, nom de plume de James Harrison, né le 11 décembre 1937 à Grayling dans le Michigan aux États-Unis et mort le 26 mars 2016, à Patagonia, Arizona, est un écrivain américain.

Il est la figure dominante de l'école dite "du Montana".

 

 

 

 


A propos du rédacteur

Gilles Banderier

 

Lire tous les articles de Gilles Banderier

 

Docteur ès-lettres, coéditeur de La Lyre jésuite. Anthologie de poèmes latins (préface de Marc Fumaroli, de l’Académie française), Gilles Banderier s’intéresse aux rapports entre littérature, théologie et histoire des idées. Dernier ouvrage publié : Les Vampires. Aux origines du mythe (2015).