Dernières nouvelles du spectacle (Ce que les médias font à la littérature), Vincent Kaufmann
Dernières nouvelles du spectacle (Ce que les médias font à la littérature), octobre 2017, 280 pages, 20 €
Ecrivain(s): Vincent Kaufmann Edition: Seuil
Et la littérature, dans tout ça ?
En 2001, Vincent Kaufmann, professeur de littérature et d’histoire des médias à l’Université de St. Gall en Suisse, publiait chez Fayard un ouvrage remarqué, consacré à l’auteur de La Société du spectacle (1967), intitulé Guy Debord. La révolution au service de la poésie. Seize ans plus tard, dans la lignée des travaux du situationniste, il s’intéresse à la « spectacularisation de l’auteur » contemporain et aux conséquences de ce phénomène sur la littérature elle-même. Le constat est sévère, les perspectives, dès les premières pages, alarmistes : « La spectacularisation de l’auteur telle qu’on l’envisage ici, c’est en somme une des modalités, qui n’en exclut pas d’autres, de la disparition de la littérature comme champ ou comme institution ».
Le symptôme du mal qui ronge le monde des lettres est le mode « Canada Dry » sur lequel évolue désormais l’auteur : « c’est la prohibition invisible et douce de la culture de l’écrit transformée en culture de l’apparition, notamment télévisuelle, mais prolongée aujourd’hui de toutes les manières possibles par les technologies numériques qui se sont imposées avec Internet ». Aujourd’hui, nous dit l’auteur, il faut avant tout passer à la télévision pour être écrivain puis relayer ensuite, via les réseaux sociaux, l’image que l’on a su donner de soi. Seule compte la forme, le fond étant devenu accessoire voire inexistant.
A l’origine de cette « spectacularisation de l’auteur », l’émission Apostrophes de Bernard Pivot occupe une place centrale, responsable, selon le critique, de « la banalisation de l’auteur » mais aussi « du tournant autobiographique de la littérature (française) ». C’est, semble-t-il, accorder beaucoup d’importance à ce programme télé qui aurait influencé, par son seul pouvoir, le champ littéraire hexagonal en un temps record… Certes, le « le retour au sujet » (après la mort de l’auteur) est contemporain des premières émissions de Pivot, mais ces dernières n’en sont aucunement la cause ! Dominique Viart, spécialiste de littérature contemporaine explique, de manière plus sérieuse, les raisons d’un tel retour au « je ». Il en repère notamment trois : « la crise des idéologies et des discours ; le renouvellement des intérêts historiques et des questions de mémoire ; l’élaboration d’une ethnologie des temps présents » (1). Ce que confond ici Vincent Kaufmann est la façon dont la télévision, et les médias en général, ont abordé la littérature – en accordant, il est vrai, une place accrue aux lectures autobiographiques – et les nouveaux champs que la littérature souhaitait explorer en dehors de toutes pressions médiatiques. Ainsi, les conclusions avancées par l’auteur sur la quasi coïncidence de ces deux temps paraissent un peu hâtives…
L’autofiction serait quant à elle à la fois un des symptômes et une des conséquences de « l’avènement de l’écosystème télévisuel », avide d’authenticité et de petits faits vrais… C’est encore oublier que si le genre est nommé en 1977 par Serge Doubrovsky « la chose », elle, lui est largement antérieure, et que des dispositifs autofictionnels ont été repérés tout au long de l’histoire littéraire (Cf. les travaux de Vincent Colonna), bien avant que la télé ne fasse son apparition dans le monde des lettres…
Il serait stupide de nier l’influence des médias sur la littérature. Son existence est indéniable même si certains points sur lesquels Vincent Kaufmann base son étude sont discutables. Cependant, un autre problème subsiste. Faut-il réduire la littérature à ce que les médias nous montrent de la littérature ? Les phénomènes décrits par le critique tournent en circuit fermé, celui qui commence dans de grandes maisons d’édition fabriquant de toutes pièces leurs auteurs comme de nouveaux produits et qui se termine sur les plateaux des télés pour qui ils ont été fabriqués. Si l’on s’arrête là, on peut s’accorder sur certains des justes constats exposés par le critique. Mais s’arrêter là c’est aussi faire le jeu de ce spectacle en le considérant comme unique représentant de la littérature du présent. Heureusement, l’espace littéraire contemporain ne se réduit pas à un plan marketing. Les maisons d’éditions indépendantes, les écrivains de l’ombre boudés par la critique qui ne se plient ni aux lois du marché, ni à celles du spectacle duquel ils sont exclus, n’en sont pas moins éditeurs et écrivains. Ils font partie de cette littérature, du moins, appartiennent à une littérature à qui les médias (ni les critiques) ne font strictement rien…
La littérature n’est pas ici à ses premiers changements, ni le statut de l’auteur à ses premiers bouleversements. La littérature du XIXe siècle est sortie transformée, peut-être aussi renouvelée mais aucunement abattue, de sa mise en tension avec la presse moderne. L’Histoire littéraire fera son travail et ceux qui fréquentent aujourd’hui les plateaux ne sont probablement pas ceux qui occuperont les premiers rayons des bibliothèques virtuelles de demain…
Arnaud Genon
(1) Dominique Viart, Portraits du sujet, fin de 20e siècle, Remue.net [en ligne] https://remue.net/cont/Viart01sujet.html
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