Depuis que la samba est samba, Paulo Lins
Depuis que la samba est samba, Trad. du portugais (Brésil) par Paula Sainot, septembre 2014, 287 pages, 22 €
Ecrivain(s): Paulo Lins Edition: Asphalte éditions
Le roman de Paulo lins se déroule dans le Rio des années 20, et plus précisément dans le quartier de l’Estácio, où se croisent des malfrats, des proxénètes, des prostituées, des homosexuels, des immigrés. On y trouve également des artistes, des musiciens susceptibles d’incarner la bohème locale. Ismael Silva est compositeur, il aspire à changer la musique, à l’adapter à la culture de tous les Brésiliens, autrement dit, d’incorporer dans la musique les traditions issues des origines indienne et africaine du Brésil. Son ami, Brancura, ambitionne d’écrire des sambas ; il apparaît très vite beaucoup plus doué pour le proxénétisme, qu’il développe dans son quartier, en proie aux bagarres dans les bars, au trafic de drogue, aux descentes fréquentes de la police. Brancura a un rival, Sodré, fils d’immigrés portugais ayant passablement bien réussi. Ils aiment la même femme, Valdirène, l’une des plus belles filles de l’Estácio, prostituée de son état. Sodré est blanc, Brancura est noir, descendant d’esclaves.
Il y a dans le roman toute une description du Rio populaire des années vingt, de ses endroits de perdition, de création, d’excès en tous genres. L’auteur y décrit l’addiction sexuelle qui semble avoir atteint beaucoup de personnages avec une grande truculence, un vocabulaire cru, direct, réaliste. Pourtant, le récit de Paul Lins éveille l’intérêt par l’éclairage qu’il apporte, à de très nombreuses reprises, sur le passé du Brésil, sa culture. Ainsi, sur la naissance de l’Umbanda, religion nouvelle d’origine indienne : « La charité … L’amour fraternel est notre devise, L’Evangile du Christ notre parole, et Jésus notre maître suprême. On ne fera rien payer. Cette religion s’appellera l’Umbanda. Umbanda ! Un mot d’origine sanscrite qui signifie “Dieu à nos côtés” ou “aux côtés de Dieu” ».
L’influence de la culture de Salvador de Bahia est aussi soulignée. L’un des personnages du roman, Tante Almeida, est imprégné de ces composantes culturelles : « Tante Almeida était née dans l’état de Bahia en 1854 (…) On doit aux Bahianais le maxixe, le candomblé, la réinvention de la cuisine carioca. La culture était pour eux une soupape de sécurité après ces années d’esclavage ».
L’auteur met en évidence dans ce récit le lien entre la naissance de la samba, composante culturelle rappelant le caractère multiethnique de la nation brésilienne, il pointe à certains passages la différenciation de considération manifestée selon le degré de pigmentation de la peau de l’individu concerné. Les dernières lignes du roman sont très éloquentes à cet égard. Silva a réussi à composer, ses œuvres sont jouées et de plus en plus populaires, elles vont être radiodiffusées :
« La force du ventre engendrait des idées, des émotions, la naissance de tout ce qui est poésie et qui se créait ici-bas, pendant que la population rendait la danse plus sensuelle, transformait les mots dans la torpeur d’une musique créée à l’Estácio pour réchauffer les corps (…) Le peuple noir de l’après-esclavage se servait de sa culture comme arme pour reconquérir sa dignité ».
Stéphane Bret
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