Demain, si Dieu le veut, Khadi Hane
Demain, si Dieu le veut, octobre 2015, 159 pages, 15,90 €
Ecrivain(s): Khadi Hane Edition: Joelle Losfeld
Paris, le Parc Montsouris, septembre 2042. Joseph Diouf, quarante-deux ans, est couché sur l’herbe mouillée. Il suit des yeux les pigeons, les canards, les promeneurs, et se remémore sa vie. Une vie extrêmement triste. Une enfance sans père. La prison à vingt et un ans – condamné pour le meurtre d’un commerçant chinois de Dakar. Joseph a voulu venger la mort de son frère aîné et très aimé qu’il impute audit Chinois. La mère que la douleur finit par rendre folle. En prison, au bout de vingt ans, Joseph est frappé par une seconde condamnation, sans rémission : un cancer de la prostate. Libéré, il est évacué à Paris pour des soins qui sont sans doute pour la forme.
L’existence de Joseph n’est qu’une suite de souffrances, cela est certain. Mais le propos de Khadi Hane ne doit pas être éclipsé par ce chapelet de malheurs. Ce serait passer à côté d’une œuvre qui, il est vrai, ne paye pas de mine. La romancière sénégalaise développe en effet discrètement quelques qualités tout à fait appréciables. Après Congo Inc. de Jean In Koli Bofane, paru chez Actes Sud en 2014, Demain, si Dieu le veut présente à notre connaissance la deuxième apparition véritable du Chinois dans un roman africain en langue française.
Dans ce roman-ci, situé près de trente ans dans le futur, il y a même désormais un Chinatown au cœur de Dakar. L’actuelle ruée chinoise vers l’Afrique est donc déjà prise en compte et même en charge par l’imaginaire littéraire africain. Comme celle de l’Européen issue de la colonisation, une figure du Chinois commence à être élaborée par le roman africain. C’est la naissance d’une perception de l’autre qui exprime sans doute mieux la réalité que les discours et les réunions officielles Chine-Afrique.
Une autre qualité de ce roman de Khadi Hane – sans doute l’essentielle –, c’est la sensibilité. Demain, si Dieu le veut est un véritable exercice de sensibilité. Plus que le récit des peines qui accablent Joseph Diouf, la méditation sur soi ainsi que la description patiente du temps que celui-ci passe allongé sur l’herbe du Parc Montsouris énoncent cette sensibilité, l’élaborent avec une remarquable économie des mots.
« Pour me persuader de mon existence, j’allais puiser dans sa douleur la certitude que je tuerais le Chinois. De cette façon seulement aurais-je débarrassé ma mère du fantôme de mon frère. Oui, j’avais assassiné le Chinois pour que ma mère repose enfin son œil sur moi. Mais en tuant, c’est moi qui m’étais dérobé à son regard. Ce regard, je l’avais reconquis ensuite. Dans les premières années de mon emprisonnement, il m’avait retenu en vie, puis il s’était enfui de nouveau, lorsque les visites de ma mère s’arrêtèrent ».
Khadi Hane est consciente de son dessein si l’on ose dire ; c’est ce que prouve le chapitre final consacré aux soins précaires que Joseph – l’être en sursis – apporte à un pigeon dont une patte est cassée.
« Trouvant ensuite au pigeon un air de petit homme pour qui une pigeonne irait se jeter dans n’importe quel gouffre qui la rapprocherait de lui, je pensai qu’il me fallait lui trouver un prénom. Un prénom qui lui ressemblerait, par lequel je m’adresserais désormais à lui, même s’il n’avait aucun message de l’au-delà à me délivrer, excepté peut-être la fraternité que je ressentais pour lui. (…) Je trouvai qu’André était le prénom parfait pour cet oiseau qui ne lèverait pas la patte pour moi ».
Théo Ananissoh
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