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Délivrances, Toni Morrison

Ecrit par Victoire NGuyen 28.08.15 dans La Une Livres, La rentrée littéraire, Les Livres, Critiques, Roman, USA, Christian Bourgois

Délivrances, août 2015, trad. de l’Américain par Christine Laferrière, 197 pages, 18 €

Ecrivain(s): Toni Morrison Edition: Christian Bourgois

Délivrances, Toni Morrison

 

Briser les chaînes

Si le lecteur se penche sur le titre, il peut y voir certains indices qui guideront sa lecture car les thématiques chères à l’auteure sont inscrites en filigrane dans ce simple mot à onze caractères : Délivrances. Si son sens premier se rapporte à la dernière phase de l’enfantement, il a aussi une signification figurée qui vient appuyer l’idée de rendre la liberté à un sujet ou à un état opprimé. Il est aussi synonyme de libération mais à un niveau individuel. L’individu est délivré de sa souffrance ou/et de son aliénation. C’est ce sens figuré qui, niché, dans chaque mot donne au roman Délivrances une dimension psychologique. Mais de quoi s’agit-il ?

Bride, la fille de Sweetness a réussi sa vie. Cadre dans une firme cosmétique, elle roule en Jaguar. Elle fait pâlir d’envie ceux qui l’entourent par son port altier et ses habits blancs qui accentuent les contrastes de sa peau d’ébène. Cependant, un mal la ronge. Elle ne se remet pas de sa rupture amoureuse, d’autant plus qu’une faute du passé la rattrape et la laisse dans un état de culpabilité qui la pousse à tomber dans un traquenard dont elle sort défigurée… Au fil des pages, le lecteur entend aussi la voix de la mère et perçoit mieux la profonde détresse de Bride sous sa rutilante réussite…

Tout comme pour Home, Toni Morrison accompagne ses personnages dans la (re)découverte de leur identité morcelée, fragmentée et donc forcément douloureuse. La superposition des narrations, d’abord Sweetness, puis Bride et enfin Sofia exhument les souvenirs, le creuset de leurs douleurs afin de pouvoir s’en délivrer. La puissance de la prose de l’américaine ne réside pas seulement dans l’utilisation subtile et poétique du « je ». Par les mots et le langage, Bride tout comme sa mère ou Sofia deviennent des faiseuses d’histoires. Elles déroulent les mots, les étirent, lettre après lettre pour en recueillir la « substantifique moelle ». Dans le flux de conscience, chaque phrase, chaque parole est incantatoire. La douleur est isolée et conjurée. Le monologue est suivi d’une errance réelle. Ainsi, Bride se désintéresse de sa carrière de cadre prometteur pour partir sur les routes à la recherche de son amour perdu :

« Après un ou deux verres de vin, comme j’étais un peu éméchée, j’ai décidé d’appeler mon amie Brooklyn, de tout lui raconter. Qu’il m’avait frappée plus durement avec huit mots qu’à coups de poing : T’es pas la femme que je veux. Que ces mots m’avaient tellement secouée que j’étais d’accord avec ».

Comme dans presque toute l’œuvre de Toni Morrison, le lecteur devine que pour l’écrivaine américaine, la souffrance constitue la clé de voûte d’une initiation. Le personnage aspire à se fondre dans la vraie identité, un retour sur soi, sa vraie patrie. La problématique de l’identité est ici liée à la condition afro-américaine. Bride s’habille tout de blanc comme une mariée. Elle sublime, magnifie sa peau noire. Mais par ce subterfuge, par cette rage de Bride, Toni Morrison ne réactualise-t-elle pas une conscience noire déjà mise en exergue par des mouvements nés dans les années de luttes civiques ? A l’heure où les Etats-Unis sombrent dans une violence policière à l’égard des populations afro-américaines, Bride devient le symbole vivant de l’expression jamais galvaudée du black is beautiful et le porte-étendard de la Négritude retrouvée :

« (…) j’ai développé une immunité tellement forte que la seule victoire qu’il me fallait remporter, c’était de ne plus être une “petite négresse”. Je suis devenue une beauté profondément ténébreuse qui n’a pas besoin de Botox pour avoir des lèvres faites pour être embrassées, ni de cures de bronzage pour dissimuler une pâleur de mort. Et je n’ai pas besoin de silicone dans le derrière. J’ai vendu mon élégante noirceur à tous ces fantômes de mon enfance et maintenant ils me la payent. Je dois admettre que forcer ces bourreaux – les vrais et d’autres comme eux – à baver d’envie quand ils me voient, c’est plus qu’une revanche. C’est la gloire ».

Ainsi, Délivrances, sans être un roman tortueux comme c’est le cas pour Beloved ou Paradise, s’interroge sur l’identité noire mais aussi sur la condition humaine de façon universelle. La question de la souffrance, des traumatismes et des résiliences imprègne le récit. Toni Morrison parle à l’intimité de son lecteur. Elle l’apaise et lui ouvre la voie de l’espoir. Car dans une vie tout est possible…

 

Victoire Nguyen

 


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A propos de l'écrivain

Toni Morrison

 

Toni Morrison est une femme de lettres américaine. Elle est née en 1931 dans l’Ohio. Elle a été professeur et éditrice avant d’être écrivaine. Elle a obtenu le Prix Nobel en 1993. Ses romans les plus vendus sont Sula, Song of Salomon, et Beloved. Délivrances est son onzième roman.

 

A propos du rédacteur

Victoire NGuyen

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Un peu de moi…

Je suis née au Viêtnam en 1972 (le 08 Mars). Je suis arrivée en France en 1982.

Ma formation

J’ai obtenu un Doctorat es Lettres et Sciences Humaines en 2004. J’ai participé à des séminaires, colloques et conférences. J’ai déjà produit des articles et ai été de 1998 – 2002 responsable de recherche  en littérature vietnamienne dans mon université.

Mon parcours professionnel

Depuis 2001 : Je suis formatrice consultante en communication dans le secteur privé. Je suis aussi enseignante à l’IUT de Limoges. J’enseigne aussi à l’étranger.

J'ai une passion pour la littérature asiatique, celle de mon pays mais particulièrement celle du Japon d’avant guerre. Je suis très admirative du travail de Kawabata. J’ai eu l’occasion de le lire dans la traduction vietnamienne. Aujourd’hui je suis assez familière avec ses œuvres. J’ai déjà publié des chroniques sur une de ses œuvres Le maître ou le tournoi de go. J’ai aussi écrit une critique à l’endroit de sa correspondance (Correspondance 1945-1970) avec Mishima, auteur pour lequel j’ai aussi de la sympathie.