Deadwood, Pete Dexter
Deadwood, Folio Policier, 610 p. 1986, traduit de l’anglais (USA) par Martine Leroy-Battistelli, 9,10 €
Ecrivain(s): Pete Dexter Edition: Folio (Gallimard)« Cet endroit se prête aux idées noires […]. Ici, rien n’est normal, même le temps. Nulle part, il n’y a d’orages pareils. Le jour de notre arrivée, on a vu deux hommes portant une tête humaine en pleine rue. […] Un Mexicain avec celle d’un Indien, et une crapule qui louchait et qui s’appelait Boone May, avec la tête du hors-la-loi Frank Towles. Tout homme intelligent est donc obligé de réfléchir aux choses de la mort… »
Avec Deadwood, aventurez-vous dans l’Ouest américain, le vrai. Celui des cow-boys, plutôt que des indiens, mais loin des clichés hollywoodiens. Le western auquel nous convie Pete Dexter n’a rien de très glamour. Ou bien, il est ultra réaliste, c’est selon.
Tous les personnages, à l’exception d’un seul (et peut-être le plus fou de tous), ont existé et on été présents à Deadwood dans les années 1870. On retrouve des noms rendus mythiques par le cinéma : Wild Bill Hicock, Calamity Jane. Mais sous un jour beaucoup moins flatteur. Ce ne sont que des pochards, des dégueulasses qui ne se lavent qu’une fois de temps en temps, et qui n’ont pas franchement le profil de héros sauvant la veuve et l’orphelin. Au contraire.
Autour d’eux gravite tout un monde interlope de prostitués, de prédicateurs, d’arnaqueurs, de combinards, de cow-boys à la gâchette facile.
Il n’y en a pas un pour rattraper l’autre. Mais c’est du chacun pour soi. La loi de l’Ouest, c’est la loi de la jungle.
Le roman a donné naissance à une série télé éponyme. C’est logique tant celui-ci est construit comme une série (alors qu’il n’a pourtant été publié qu’en 1986), pleine de séquences courtes, de rebondissements, avec une foule de personnages pittoresques. On n’a pas le temps de s’ennuyer.
Pour les amateurs de la série, on en viendrait à regretter que le Sheriff Seth Bullock et le tenancier de bordel, Al Swearingen, les deux personnages principaux, n’aient pas, dans ces pages, de rôles plus conséquents. Al Swearingen paraît dans le livre bien sage, loin du psychopathe télé sur le point d’exploser à tout instant.
De même, alors que la série est d’une grossièreté extraordinaire, le livre de Pete Dexter reste très mesuré, presque prude. Le sexe masculin est ainsi désigné par le très gentil sobriquet de « flûte ». On est loin des « Fuck », « Motherfucking dick » et autres réjouissances langagières qui ponctuaient chaque phrase de dialogues des personnages de la série, et qui lui donnaient, vraiment, ce petit quelque chose en plus…
Le livre se rapproche aussi du format sériel, car il y a peu de narration et beaucoup de dialogues.
Abondance de dialogue est trop souvent signe de facilité. Pete Dexter a réalisé un extraordinaire travail de documentation pour rendre crédible les Etats-Unis de la fin de la conquête de l’Ouest, nous emmener dans un voyage vers le passé, mais pêche un peu du côté de l’écriture. A côté d’autres westerns comme ceux de Cormac McCarthy, Deadwood fait pâle figure, manque d’un certain souffle épique, de lyrisme.
Ici, il n’y a pas d’envolées stylistiques. On reste dans la boue, on ne lève pas la tête. Chacun dans son petit coin s’affaire à sa bouteille. Deadwood, c’est l’Ouest américain un lendemain de cuite. Rien n’est net, tout vacille, et le seul remède qui vaille est de se resservir un coup.
Yann Suty
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