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De plus en plumes - 3 - L’impatience piaffe, par Joëlle Petillot

Ecrit par Joelle Petillot 14.04.16 dans Nouvelles, La Une CED, Ecriture, Ecrits suivis

De plus en plumes - 3 - L’impatience piaffe, par Joëlle Petillot

 

Aliénor, hébétée, contemplait depuis sa fenêtre (refermée avec une célérité présumée impossible, foutue arthrite), le jardin jonché de petits corps. Elle se demanda comment elle s'y prendrait pour se débarrasser de ces bestioles dont la couleur jaunasse évoquait un canari hépatique. Elle fit demi-tour, repassa devant le portrait en grommelant "pauvre abruti" : un réflexe.

Décidée à en finir au plus vite, elle amorça une sortie du salon afin de quérir des gants et une pioche pour ramasser les machins.  Sommée par les plus hautes autorités de l'état, elle n'eût effleuré ces horreurs pour rien au monde, pas même la promesse d'un changement de prénom.  Traitement : idem-feuilles mortes :

- un tas,

- allumette,

- pschchch.

Fini. Dans les cas de stress extrême, Aliénor Dautry entretenait son dialogue intérieur en parlant comme un général.

Toute à sa hâte, elle ne s'aperçut pas qu'un petit oiseau jaune et brun, entré sans doute avant qu'elle ferme les battants, s'était perché sur le dossier d'un fauteuil. 
Concentré bien que minuscule, son œil noir pétillant dans la lumière, il la regarda sortir.

Bien vivant, celui-ci.

 

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L'aide-soignante tira Elodie de sa sieste en poussant bruyamment la porte. Sitôt l'œil ouvert, la vieille dame opéra une remontée de bretelles en règle qui n'atteignit guère la jeune fille. Certes elle aurait dû frapper. Mais dix-sept autres chambres l'attendaient… 
A cela il convient d'ajouter qu'en plus de huit décennies, Elodie avait dû engueuler l'équivalent de la moitié de la population mondiale. Un peu plus, un peu moins...
- T’es qui, toi ? 
- Sarah, madame. Je viens tous les jours. 
C'était dit sans agressivité, mais Son Irritabilité le prit mal. 
- Et alors, ça veut dire quoi : "Je viens tous les jours" ? 
- Rien, dit l'aide-soignante en disposant le goûter sur la tablette. 
- Encore du thé ? Encore ces sablés de merde ? J'aime pas les sablés, on mange du gravier. J'en veux pas. 
- Je les remporte. 
- Nan, laisse les, j'aurai peut-être faim tout à l'heure. Mais j'ai mieux bouffé pendant la guerre. 
- Je les laisse. Vous n'avez besoin de rien? 
-  Ramène-moi le légume, Clara. C'est elle que je veux. 
Quand Sarah regagna le poste infirmier, Julienne triait des médicaments. Elle demanda si tout allait bien, par habitude. 
La petite lui répondit que oui, mais la ravagée du vingt-quatre dévissait de plus en plus.  "Elle a râlé sur tout, et m'a demandé de lui ramener un légume... Rien compris." 
Julienne suspendit son geste: "Qu'a-t-elle dit exactement ? "
Elle a dit : "Ramène moi le légume, c'est elle que je veux". 
- J'y vais, dit Julienne, je finirai plus tard. 
Elle se dirigea vers la porte, s'arrêtant toutefois devant Sarah pour lui dire avec une douceur  froide, une douceur intégrant un gisement de lames de rasoir : 
- La "ravagée du vingt-quatre" a un nom, et un prénom. Veuillez les utiliser lorsque vous parlez d'elle. J'attacherais du prix à ce que l'ensemble soit précédé du vocable :" madame. " 
Puis dans un but de transparence, tant il est vrai qu'une information bien conduite est la clé de toute harmonie, elle ajouta en tournant les talons : 
- Le légume, c'est moi.

 

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Seule dans sa cuisine, Lise ne parvenait pas à oublier l'image de l'oiseau couché sur la ligne de vie de Tournemine. 
Ce qu'elle revoyait surtout, c'était son œil noir désagréable. Et elle n'avait pas aimé qu'il lui parle dans sa tête. Surtout avec cette petite voix, une  voix grêle d'enfant, aiguë, coupante, insupportable. 
Demande pardon

Lise tenta de se rassembler, de faire front. La peur figeait une rigole froide entre ses omoplates,  un serpent de pétoche qui ricanait sous sa peau. 
Des oiseaux inconnus s'étaient déversés dans son jardin, raides morts sauf un qui avait pris le temps de lui passer un message dans le silence, faisant sonner deux mots en notes fêlées qu'elle seule avait perçues. A cet instant, elle avait fixé Tournemine, pour ne voir de lui que ce qu'on pouvait en attendre: une compassion d'homme simple envers une agonie de dix grammes sous ses doigts. Pas de voix grêle pour lui. 
Demande pardon

Le pain pétri et cuit par ses soins répandait dans la pièce une douce odeur de fournil, d'enfance, de fin d'été; Tournemine en eût défailli. Elle le sortit, attendit le temps règlementaire pour qu'il soit tiède et puisse recevoir de tout son moelleux le beurre qui ne demandait qu'à s'étaler. 
Demander pardon
. Comment un piaf jaune et brun à moitié crevé pouvait il... ? Oh, elle savait très bien à qui, mais lui, comment... Elle soupira. Un examen minimaliste de la situation permettait de conclure qu'elle était dépassée, et elle détestait réfléchir.
Bientôt, l'or liquide du miel  glissait de son flacon comme une jupe de soie qu'on enlève.
Au doute qui taraude,  à l'angoisse existentielle ou non, à l'amour malheureux ou au courrier des impôts, Lise ne connaissait  qu'une seule non-réponse : une bonne tartine. 
Le reste, on verrait plus tard. 
Elle attaqua la première bouchée avec une volupté non feinte, consciente toutefois que pour le pardon en question, l'urgence s'imposait.

 

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Joëlle Petillot


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A propos du rédacteur

Joelle Petillot

 

Née le 1er Octobre 1956.

Dernière de quatre, famille d’artistes.

Deux romans publiés aux éditions Chemins de tr@verses :

La belle ogresse

La Reine Monstre

Un recueil de nouvelles : le hasard des rencontres.

Blogs :

La nuit en couleurs sur Overblog.

Wizzz Télérama, sous le nom de Boudune.