De plus en plumes (1), par Joelle Petillot
- 1 –
Les oiseaux ne se cachent plus pour mourir
Quand les premiers oiseaux commencèrent à tomber, personne ne s'y attendait.
Que faire pour exorciser la chose, sinon vaquer ?
Mélanie Chantelle, stylo en main, fit après plusieurs hésitations le choix de l'élégance via une lettre manuscrite pour clore une histoire d'amour devenue boulet. Albert ne lui était plus rien depuis bien avant qu'elle s'en rendît compte. Longtemps, le charme titillant de son absence de cheveux, comme son prénom désuet prononcé dans la pénombre sous l'effet de caresses peu imaginatives, mais à tout le moins efficaces, l'avaient contentée.
Jusqu'à ce jour de lucidité où elle croisa le nouveau voisin auréolé de boucles et dont le prénom branché s'affichait en cursives sur la boîte aux lettres : Jérémie Larcher.
Mélanie Chantelle, nourrie de lectures freudiennes et ne croyant pas au hasard, sauta sur le signifiant du patronyme pour oser enfin rédiger une lettre de rupture qu'elle trouva admirable, après double relecture pour supprimer les fautes, en vain d'ailleurs, il ne s'en trouvait aucune.
Mélanie maîtrisait mieux l'orthographe que les sentiments.
***
De son côté, Aliénor DAUTRY contemplait sans joie son reflet dans le miroir prévu à cet effet (la contemplation sans joie) suspendu à côté du portrait de son père, au mur du salon. Comme toujours, au vu de la moustache martiale et du veston croisé elle se dit : "vieux con". Aliénor ignorait tout de l’intéressé, réduit pour elle à une effigie la fixant depuis son Olympe, sur ce foutu mur de ce foutu salon, le tout dans cette baraque de merde qu'elle détestait sans pouvoir la quitter, faute de moyens.
Un bruit précipité lui fit gagner sa fenêtre en ronchonnant. Elle eut le temps de penser sur les quelques mètres parcourus à différentes choses en vrac, comme changer de prénom : les fortunes qu'elle eût données pour se nommer Jeannette, Simone, ou Léa ne se comptaient plus. Comble de tout elle souffrait d'arthrite et devenait dure d'oreille. Saloperie de ...
***
Au même moment, Louis Tournemine, menuisier de son état, livrait une bonnetière rénovée avec un vif amour du métier à une vieille dame charmante qu'il vénérait, tant pour la célérité avec laquelle elle réglait ses factures que pour ce geste adorable de joindre à son chèque un pot ou deux de confiture dont il n'avait jamais goûté de semblable ailleurs. Les noms, calligraphiés soigneusement, chantaient à son oreille avant de faire vibrer son estomac: Potimarron à la vanille, framboise au gingembre, compotée pomme-châtaigne...
Louis Tournemine, en se rendant dans cette demeure surannée parsemée de livres, tentait de garder sa dignité de manuel en évitant de baver : les parfums venus de la cuisine à l'heure du thé lui donnaient pourtant du fil à retordre.
Lorsque les vitres crépitèrent sous ce qu'il prit d'abord pour une tombée de grêle, Louis Tournemine, assis devant une tarte au citron artistement meringuée, avait la bouche pleine et se mettait à croire en Dieu.
A suivre
Joelle Petillot
- Vu : 2466