De Perle et de Corail, Tome 1, La Fiancée Varéniane, Mara Rutherford (par Didier Smal)
De Perle et de Corail, Tome 1, La Fiancée Varéniane, Mara Rutherford, La Martinière Jeunesse, août 2022, trad. anglais (USA) Céline Morzelle, 496 pages, 20 €
Edition: La Martinière Jeunesse
Il y a plus d’un siècle, S.S. Van Dine publia dans un article les vingt règles pour écrire des romans policiers, genre alors en plein essor et en vogue aux Etats-Unis ; à charge pour les auteurs talentueux, inventifs, créatifs, de sortir de ces règles, voire de les pervertir – ce sont ceux que l’histoire littéraire a retenus, ceux dont on prend aujourd’hui encore plaisir à lire les romans et nouvelles. Aujourd’hui, nul doute que pourraient être publiées (peut-être le sont-elles, peut-être sont-elles même enseignées durant des séminaires de creative writing) les vingt règles pour écrire un roman de fantasy – et probablement que Mara Rutherford, précédemment journaliste, les aurait imprimées et affichées au-dessus de son bureau avant d’écrire La Fiancée Varéniane, premier tome d’une duologie intitulée De Perle et de Corail.
Perle et Corail, ce sont Nor et Zadie, deux jumelles adolescentes, l’une d’une beauté parfaite, l’autre au physique moins avenant selon les critères varéniens – puisque sur Varénia, un vaste village flottant, l’on cultive la beauté afin d’offrir à chaque génération une épouse au prince héritier du royaume d’Ilara. A ceci près que Nor se blesse, elle qui ne pensait qu’en termes d’épousailles à venir, et que Zadie, à l’esprit plus indépendant, doit prendre sa place lorsque survient le prince Céren. Ce début de roman annonce la suite : Zadie est confrontée à une vie continentale aussi émotionnellement froide qu’intrigante, et va traverser diverses épreuves, qui la mèneront probablement à la fin du second tome, non encore traduit en français, à un dénouement heureux certainement lié à sa capacité à faire évoluer soit le prince Céren, soit le royaume d’Ilara en entier.
Le résumé prospectif ci-dessus est juste destiné à montrer l’aspect « cahier des charges » de La Fiancée Varéniane : pour le lecteur aguerri, qui certes aime à voyager dans des univers éloignés du réalisme le plus strict, le merveilleux rencontrant sa faveur, ce roman ne présente guère de surprises, à quelques variantes près. Sur un thème relativement similaire, les épousailles d’une jeune femme hors normes avec un prince froid dans un royaume aux mœurs inquiétantes, par exemple, la série La Passe-Miroir de Christelle Dabos est bien plus aventureuse, correspond plus aux attentes du lecteur désireux de sortir des conventions. Malheureusement, chez Rutherford et toujours en opposition à Dabos pour continuer la comparaison, outre que l’on devine aisément le schéma de l’histoire, s’ajoutent une écriture en brefs paragraphes, typique d’une époque où l’écriture littéraire se confond avec l’écriture journalistique et l’impression que les personnages n’ont que deux dimensions, celles du papier sur lequel sont imprimées leurs aventures – manquent la complexité et une quatrième dimension, la temporalité, celle qui donne envie de les accompagner dans ces aventures et les partager avec eux.
D’un autre côté, si l’on envisage De Perle et de Corail pour ce qu’est ce roman, un récit de fantasy mêlé de roman d’initiation à destination d’un public adolescent découvrant le genre ou d’un public adulte préférant se plonger dans un univers étranger mais au fond reconnaissable pour se reposer d’une vie frénétique quelques heures à l’occasion, puisque le « cahier des charges » supposé est rempli, y compris dans les variations attendues, l’on peut le recommander comme détente. Ce n’est pas insultant, ce n’est pas réducteur – c’est exact, et certaines détentes, dont ce roman, sont plus plaisantes que d’autres.
Didier Smal
Mara Rutherford a été journaliste avant de se lancer dans l’écriture de romans de fantasy à destination de la jeunesse.
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