De la main à la chute, Marine Gross (par Cathy Garcia)
De la main à la chute, Le Citron Gare, août 2018, 90 pages, 10 €
Ecrivain(s): Marine GrossSublimes photos en noir et blanc de l’auteur qui mettent l’eau à la bouche, j’avoue cependant avoir eu du mal parfois à trouver l’accroche, à trouver l’ouverture pour pénétrer dans cet univers qui semble se dissoudre au fur et à mesure où il apparaît, parfois l’impression qu’un trop de mots, même si les textes sont très courts, vient noyer le lecteur pour lui cacher quelque chose qui n’est peut-être pas dit. Une seule lecture ne suffira pas, De la main à la chute est le genre de livre qui ne se livre pas aussi facilement. Il commence par une série de poèmes numérotés, où il est question de filles, mystérieuses, nombreuses, très nombreuses et cet ensemble a un écho quasi eschatologique.
Dans le prologue il est indiqué :
« Épopée métallique d’une bande de filles
Traversant une vallée de cendres
Avec sous les pieds
Un peu de ciel
Presque dissous »
Puis s’enchaînent des poèmes plus ou moins courts mais complexes et je tombe alors sur ces vers qui semblent s’adresser directement à moi :
« Pour l’heure
Cinglante
Puissions-nous t’accompagner
Dans cet étrange dédale »
C’est vrai, je me sens un peu perdue dans ce recueil, comme on peut l’être aussi dans ce monde. « Aménagement du désastre ». Alors je lis, je cherche à quoi me raccrocher pour reprendre souffle, mais :
« Le fait ne se décalque pas
Pas plus que le vent
Ne s’attrape ».
Mais je saisis cet indice, une fissure :
« Quand je parle
Je perds ma bouche
Elle se crache
Hors de moi
Avec les mots
Alors j’évite ».
C’est bien ce qu’il me semblait. De la main à la chute serait-il un carnet d’incantations, de prescriptions magiques censées l’arrêter, cette chute ?
« Reprendre ses esprits
Ne pas reprendre ses esprits
Laisser les fantômes
Attablés dans la pièce à côté
Ou entrebâiller la nuit
Et s’inviter à leur table »
Il y a bien des choses inquiétantes tout de même.
« Ombre visqueuse
Dans la bouche ils ruminent
Plein la bouche
Croient que la fumée se mange
Et que l’ombre s’en va avec du détachant ».
La poète semble pourtant savoir ce qu’elle fait, ce qu’il faut faire.
« Sois sans crainte bientôt dans la plaine le vent
Se lèvera et nous lècherons nos plaies comme de
petits animaux assoiffés »
La poésie permet des rituels étranges : « Je vais plier la maison(…) Et avant que le vent ne se lève / Étendre la fumée ».
Le vent dans ce recueil semble un allié, encore une qui l’aurait chaussé à ses semelles ? Alors que le regard voit ce que d’autres peut-être ne voient pas, ou plus :
« Des peaux déposées
Pliées nettoyées
Défaites tragiques
Àcôté du lavomatic
Un corps »
Les poètes, ces êtres étranges, peuvent parfois comme les chamanes, expérimenter la dislocation de leur personne, se fondre, se confondre, dans la réalité qui les entoure.
« Si je regarde l’ampoule
Qui brille au plafond
C’est mes pieds qui fondent
Et disparaissent dans le crépitement
Du filament
Et quand j’entends les moteurs
Au loin
C’est tous mes os
Qui rutilent et pleurent
De ne pas être la voiture
Bleu métallique
Avec jantes argentées »
Mais ce sont les moineaux qui lui tiendront compagnie :
« Quand plissera le jour
(…)
Que les miettes tomberont
Avec les mots rassis
De la bouche à la manche
De la manche à la chute ».
Ce recueil serait-il une sorte de contemplation de la vanité, chute des mots comme chute de neige, pas de sens à chercher, à trouver, rien à quoi se raccrocher sinon le vent, se laisser partir ?
« Véloce le dernier visage
Quand son image écrasée derrière la vitre
se hache déjà »
Cathy Garcia
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