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De l’art de ne rien faire face à Daech et ses prêcheurs, par Kamel Daoud

Ecrit par Kamel Daoud le 03.11.15 dans Chroniques régulières, La Une CED, Les Chroniques

De l’art de ne rien faire face à Daech et ses prêcheurs, par Kamel Daoud

 

Sur une plage, sous le soleil dur, entre le sel et la solitude, un homme prend une arme et tire sur des touristes. Vieille fable de la littérature. Sauf que le tireur n’est pas un étranger. Les victimes le sont. A Tunis, le carnage va coûter, au-delà des vies irrécupérables, l’économie d’un pays fragile : misère, pain noir et chômage arrivent. C’est en gros l’idée de Daech international : provoquer la pauvreté, ruiner les pays puis annoncer la fin du monde et recruter les hallucinés de la peine et de la faim. La Tunisie, ce bel exemple contre nos fatalismes, a été touchée au cœur, cette fois, et la facture sera lourde. Sauf que ce Daech s’étend, conquiert, recrute. En Algérie, on y appelle déjà à l’ouverture d’une ambassade, un journaliste propose d’effacer l’étoile de sur notre drapeau pour la remplacer par « Allah ouakbar », sur certaines enseignes de pharmacies, le signe du serpent du Caducée a disparu, ne subsiste que le croissant, des éditos sont publiés pour expliquer que Daech est un barrage contre les sionistes et l’Occident, la daéchisation est en marche. D’où la question, l’unique question : que faire ? A cela on y répond différemment.

Les uns, par ce jeu de déni incroyable, vous disent qu’il ne faut pas réactiver les ogres des années 90. Donc, attendre que les djihadistes reviennent à la raison, fatiguent leur doigt sur la gâchette et s’excusent pour aller vendre des herbes médicinales. D’autres vous insultent, vous, pas Daech. Car c’est plus facile, vous êtes désarmé et ils savent que vous êtes incapable d’égorger. Donc, au lieu de s’élever contre le péril noir, on vous attaque pour avoir appelé à résister. D’autres sont encore à tourner en boucle dans l’absurdité de la position de l’escargot : Daech n’est pas l’islam et il ne représente pas l’islam. D’accord. Et qui donc représente cette religion ? Est-ce que représenter cette religion, c’est rester assis à regarder Daech éradiquer l’humanité ? Pourquoi ne dénonce-t-on pas les atteintes à l’islam par Daech et le terrorisme ? Pourquoi il y a des marches contre des caricatures et pas des marches contre des massacres ? Parce que Daech est en marche dans les esprits. Si les égorgeurs ne représentent pas l’islam autant donc se bouger pour mieux le représenter au lieu de cultiver la mauvaise haleine. Autres positions : le déni. Daech est l’Occident, un monstre du sionisme, une fabrication. Puis s’en vont s’asseoir. Sans rien s’avouer sur l’essentiel : ce sont nous qui portons le monstre larvé et si, dans l’hypothèse que cela soit possible, d’autres ne profitent pas, c’est notre faute car nous sommes colonisables, de l’intérieur comme de l’extérieur, faibles, vantards, impuissants et faméliques sur le dos de la chamelle et du pipeline.

D’autres, encore, s’enfoncent plus loin dans le déni, nient la menace et s’abîment dans les analyses sans fond pendant que la daéchisation avance son désert et ses pions, tue, creuse le ravin du monde, déracine et ruine le pays. L’incroyable passivité face à Daech et consort et stupéfiante. Elle vient du déni, de la certitude de la défaite et de cet étrange accommodement à la fin du monde comme issue inventable. La vraie et unique question est celle de « quoi faire ? » pour arrêter de ne rien faire et attendre que des régimes compromis fassent quelque chose pour nous protéger. Car nous sommes menacés, nous allons être tués, nous sommes attaqués et nous laissons pousser dans nos pays, dans ce pays, ce monstre avec la passivité de gens désossés : voyez certains journaux, certaines TV, certains écrits, certaines écoles et mosquées ! Daech est chez nous, parmi nous et en nous. Alors, soit bouger et se défendre, soit pérorer sur les devoirs de l’intellectuel désarmé, la décennie 90 et la nécessité de faire de la pédagogie. Car oui, il faut que la bataille soit culturelle et de livres, mais ceux qui sont déjà infestés par cette peste ne vous donneront pas le temps.

Celui qui a tiré sur la plage de Sousse est l’enfant des fatwas qui déjà interdisaient les plages, les corps, la nage et le soleil et le désir. Cela commence par les plages hallal comme chez nous et cela finit par des massacres comme à Sousse. Il faut choisir alors : laisser venir le massacre ou lutter contre sa racine.

 

Kamel Daoud

 


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A propos du rédacteur

Kamel Daoud

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Kamel Daoud, né le 17 juin 1970 à Mostaganem, est un écrivain et journaliste algérien d'expression française.

Il est le fils d'un gendarme, seul enfant ayant fait des études.

En 1994, il entre au Quotidien d'Oran. Il y publie sa première chronique trois ans plus tard, titrée Raina raikoum (« Notre opinion, votre opinion »). Il est pendant huit ans le rédacteur en chef du journal. D'après lui, il a obtenu, au sein de ce journal « conservateur » une liberté d'être « caustique », notamment envers Abdelaziz Bouteflika même si parfois, en raison de l'autocensure, il doit publier ses articles sur Facebook.

Il est aussi éditorialiste au journal électronique Algérie-focus.

Le 12 février 2011, dans une manifestation dans le cadre du printemps arabe, il est brièvement arrêté.

Ses articles sont également publiés dans Slate Afrique.

Le 14 novembre 2011, Kamel Daoud est nommé pour le Prix Wepler-Fondation La Poste, qui échoie finalement à Éric Laurrent.

En octobre 2013 sort son roman Meursault, contre-enquête, qui s'inspire de celui d'Albert Camus L'Étranger : le narrateur est en effet le frère de « l'Arabe » tué par Meursault. Le livre a manqué de peu le prix Goncourt 2014.

Kamel Daoud remporte le Prix Goncourt du premier roman en 2015