De cœur et de sang, Maria Pia Briffaut
De cœur et de sang, éd. Amalthée, décembre 2016, 156 pages, 13,80 €
Ecrivain(s): Maria Pia BriffautPartir en quête d’une histoire cachée, un espace que des mémoires avaient pour une grande part enseveli, telle fut la bataille que Maria Pia Briffaut mena jusqu’à son terme sans céder à la tentation de la dérobade. Et c’est cette reconquête de ses territoires perdus autour de laquelle va se cristalliser toute son existence jusqu’à ce qu’une brèche déchire l’opacité de son histoire avec la certitude que quelque chose va advenir
À un moment de son existence, en consigner le récit devient pour elle une nécessité. Mais pas à n’importe quel moment. La mise en chemin vers l’écriture démarrera après bien des tribulations. Maria Pia Briffaut attendra le décès de ses parents adoptifs pour se lancer dans cette aventure.
Et surtout pas n’importe comment. Il lui faudra trier, éliminer, mettre en relief certaines étapes pour réussir à découvrir sa musique intérieure. Et c’est ainsi que naquit le livre De cœur et de sang, à la suite d’un travail acharné d’élaboration, de choix et de construction. Maria Pia Briffaut nous offre en partage un secret qui est constitutif de son identité, qui fait partie intégrante de sa personnalité, qui explique le mouvement de sa vie. Lisons-le avec l’attention qu’il mérite, il a beaucoup à nous apprendre.
Claude Burgelin, professeur émérite de littérature contemporaine à l’Université de Lyon-II-Louis-Lumière, que l’auteur cite dans son livre, nous donne une clef qui ouvre une porte à ce projet et à ses mystères : « Écrire, c’est vouloir renaître sous x. Risquer des mots, des phrases, des rythmes, enfanter de l’inconnu ».
Dans De Cœur et de sang, une question revient lancinante : « Qui suis-je ? » Tout le déroulement du récit est une tentative de réponse à cette interrogation qui taraude l’auteur. Il lui faudra se confronter à son histoire complexe et tourmentée pour pouvoir reconnaître son identité plurielle et l’accepter pour enfin trouver une certaine paix.
Le parcours de l’auteur ne se fait pas sans accrocs, il est constitué d’une suite interminable d’attentes et d’espoirs déçus. Le plus dur à accepter est la violence, la froideur et l’indifférence de l’administration qui engendre la colère.
Mais jamais le renoncement ne fut à l’ordre du jour, quitte à accepter de devenir une militante assumée dans une association jusqu’à accéder aux plus hautes responsabilités pour défendre ses convictions. Son engagement dans l’écriture va déplacer l’action militante vers un autre objet. Dans ce récit, inutile de traquer les jugements tranchants. Au fil du texte, nous allons assister à la révélation des moments d’une existence déroulée au fil des réminiscences, au fil de lueurs fugitives, au fil des allusions énoncées et non enregistrées, des invectives parfois cruelles. Oui, certes, il s’agit d’une enquête mais bien davantage d’une quête semée d’indices qui ne seront compris que dans l’après-coup de l’écriture.
L’autobiographie n’est pas une mise en scène obscène de son chemin de vie mais une mise en forme littéraire de son obsession. L’auteur a bien intégré cet avertissement. Dans De cœur et de sang, Maria Pia Briffaut tisse un réseau de fils qu’elle tire avec ses mots dans une recherche et une invention, une « autofiction » grâce à laquelle elle va reconstruire ailleurs, autrement, ses souvenirs, non pour s’en délester ou les fixer dans un définitif désespérant, mais pour les rendre vivants et vibrants. Ce récit n’a pas pour visée de restituer une réalité biographique. C’est un texte qui remonte des profondeurs. Il n’est, en fait, qu’une reconstruction littéraire qui nous dévoile un territoire poétique inattendu et assuré. Aucune naïveté dans ce projet, l’auteur nous avertit : « Peu à peu, le puzzle se reconstitue. Nous ne réussirons jamais à reconstruire le récit dans sa totalité. Il restera toujours des blancs ». Il s’agit plus pour l’auteur de remplir un manque, un vide, un creux, un trou, avec une grande économie de moyens, une recherche de rythme, de couleurs.
Les variations de tonalités, le climat de clair-obscur, la concision lui permettent de suggérer plutôt que de raconter, d’effleurer plus que de griffer, dans une démarche qui traque non pas une vérité absolue mais une vérité intérieure. Le texte avance au rythme de l’horloge interne de l’auteur. Cela donne à lire une écriture impressionniste, fragmentaire, résultat de flashes de mémoire, de trouées de lumière dans la monotonie des jours. Ce récit ne cherche pas le règlement de compte mais il chemine, au fil des pages, vers un apaisement. Et le lecteur ressent profondément, au détour de certaines anecdotes, une tendresse qui sourd vis-à-vis des êtres qui l’ont élevée.
Comment rendre compte d’une expérience initiale douloureuse sans tomber dans le mélodrame ? Comment la traduire en mots ? Comment préserver des espaces de silence ?
Nous cheminons avec l’auteur dans les méandres de son histoire. Nous suivons avec intérêt les étapes surprenantes d’un voyage initiatique avec des haltes, des escales où nous nous attardons, des accélérations, des graduations dans le déroulement, des variations dans l’intensité, des enfilades d’anecdotes joyeuses ou douloureuses, des épisodes insolites, des imprévus stupéfiants, des correspondances étonnantes, des hasards inespérés. L’émotion contenue est présente à fleur de mots.
Même si le sujet du livre concerne apparemment un public particulier et restreint, celui des enfants nés sous X, De cœur et de sang déborde largement son projet initial. Il n’a pas de destinataire univoque.
En effet, en tant que lecteur apparemment non concerné, pourquoi ce récit nous capte-t-il, malgré tout, avec une telle force ?
Cela est-il dû à la qualité de l’écriture ? Oui, sûrement. Mais pas seulement. Si ce livre nous empoigne et nous bouleverse, c’est parce qu’il aborde des interrogations existentielles qui concernent chacun d’entre nous. En effet, il interroge nos propres liens de filiation, nos propres attaches, nos propres indentifications. Et lorsque nous fermons le livre, nous restent en tête des questions primordiales : qu’est-ce qui nous est transmis ? quelles traces gardons-nous de notre héritage ? quels traits empruntés à notre lignée nous imprègnent ?
Nous savons depuis Freud que dans l’imaginaire de chaque enfant se construit un roman familial, celui de ses origines. Qu’en faisons-nous ? Claude Burgelin, cité par Maria Piat Briffaut pour clore son écrit, nous donne une ouverture possible : « Naître sous X, c’est être enfant de l’inconnu, enfant non reconnu, étrange cadeau des dieux. Un destin pesant ? En tout cas, un programme narratif chargé… Une destinée romanesque ? Elle peut être celle de chacun : même lestés d’un patronyme, il nous reste à chercher notre x originel ou original, les x qui s’entrecroisent en nous ». Comme un funambule, Maria Pia Briffaut va pouvoir atteindre l’autre rive sur le fil de l’équivoque.
Alors écoutons Maria Pia Briffaut et son refrain à la vie qui va, cette vie où elle s’est retrouvée passant ainsi de l’obscur à la lumière, retrouvant le maillon manquant dans la chaîne de la lignée : « Je suis la femme trois fois nommée. Qui est le double de Monique, Maria ? Maryse ou Maria et Maryse ? La valse des M est à trois temps et ses protagonistes tournent sans repos. Un M en avant, deux M en arrière. Un M pour chaque mère et chacune d’entre elles m’a aimée ». À la fin du livre, l’auteur aura intégré son histoire.
Ce chemin qu’elle a accompli nous invite à notre tour à ne jamais baisser les bras. Qui nous empêche de faire un pied de nez au destin qui nous est assigné ?
Pierrette Epsztein
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