De bons voisins (Acts of Violence), Ryan David Jahn (par Léon-Marc Levy)
De bons voisins (acts of violence), Actes Sud Actes noirs. Décembre 2011. Trad. de l’anglais (USA) par Simon Baril. 270 p. 21 €
Ecrivain(s): Ryan David Jahn Edition: Actes Noirs (Actes Sud)Tiré d’un fait divers réel, ce roman est conçu comme une pièce de théâtre noire. « De bons voisins » se déroule autour d’une scène centrale : le meurtre, effroyablement violent, de Kat dans la cour de son immeuble. Autour, comme le choeur des tragédies antiques, les « voisins » qui regardent depuis les appartements, immobiles dans leur propre misère, leur peur, leur lâcheté, la perte de toute humanité. Aucun ne bouge.
La plume de Ryan David Jahn, dépouillée, sans effets de style ce qui rend encore plus insoutenable la réalité rapportée, se déplace alors comme une caméra dans un long travelling tournant autour de la cour centrale. Le décor fait irrésistiblement penser au célébrissime « Fenêtre sur cour » d’Alfred Hitchcock. De chapitre en chapitre, le lecteur se déplace d’appartement en appartement, découvrant peu à peu les abîmes existentiels des habitants, torturés par la pauvreté, la dépression, la solitude, la vieillesse.
« Il signe.
Il relit deux fois son mot, hoche la tête et pose le crayon.
Il saisit le revolver et le presse sur sa tempe pour la troisième fois.
Il se demande pourquoi il n’y a pas de bonnes plaisanteries sur le suicide. Le suicide c’est assez drôle, quand on y réfléchit, c’est assez ridicule. »
Vous l’avez compris. Jahn signe ici une tragédie polyphonique. Celle de la « scène centrale » (l’est-elle vraiment ?) et celles de tous ceux qui regardent – victimes de la vie, de la sexualité, de l’horreur du quotidien, de la condition humaine. Victimes comme la malheureuse qui se fait larder de coups de couteau dans la cour et à laquelle personne ne porte secours.
Comme ce flic écrasé par son métier et les images qui le hantent :
« Quand on est arrivés, il était sur le bord du trottoir. Assis. Les bras croisés sur les genoux. Il nous a regardés et nous a souri. Il a levé un bras pour nous saluer. « Bonsoir » il a dit. Un type comme les autres, à part qu’il y avait deux points sur son front. Deux points rouges. Un juste au milieu du front, l’autre au-dessus de son sourcil gauche. »
Ce livre nous parle du temps d’aujourd’hui, de nos abandons, de la fin des solidarités, de la paranoïa qui s’est installée sur les groupes sociaux. Ce livre nous parle – dans la grande tradition du roman noir - de la Ville et de sa noirceur. De son indifférence. De sa brutalité. Une Ville qui n’est plus faite pour les hommes.
« Personne n’a vu ce qui se passait ici ? demande-t-il, regardant d’un visage à l’autre. Personne n’a appelé la police ? »
Tout le monde a vu. Mais c’était personne.
Beau livre, très très noir.
Léon-Marc Levy
NB : Vous verrez souvent apparaître une cotation de Valeur Littéraire des livres critiqués. Il ne s’agit en aucun cas d’une notation de qualité ou d’intérêt du livre mais de l’évaluation de sa position au regard de l’histoire de la littérature.
Cette cotation est attribuée par le rédacteur / la rédactrice de la critique ou par le comité de rédaction.
Notre cotation :
VL1 : faible Valeur Littéraire
VL2 : modeste VL
VL3 : assez haute VL
VL4 : haute VL
VL5 : très haute VL
VL6 : Classiques éternels (anciens ou actuels)
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