Day for Night, Richard Learoyd
Day for Night, Richard Learoyd, éd. Fraenkel Gallery, San Francisco, novembre 2015
Les photographies en couleurs de Richard Learoyd sont créées à partir d’un des plus vieux processus photographiques : celui de la camera oscura. Dans une pièce est installé son appareil, dans une autre séparée de la première par une lentille, le « sujet » de sa prise. L’image est des plus précises, simples et directes. Elle augmente ce que l’œil perçoit de manière commune. L’artiste photographie dans son studio à Londres et parfois dans la campagne anglaise chargée de toute l’histoire de l’art.
L’aventure photographique est spectaculaire mais dans le bon sens du terme. Elle agit et de manière uniquement poétique loin de toute version post pop d’un fétichisme du portrait. Learoyd réinvente toute une économie symbolique des signes iconiques. Il les métamorphose à l’état de rébus très éloignés de la simple compréhension formelle de reconnaissance. C’est pourquoi l’œuvre échappe à tout potentiel mimétique. L’éloquence visuelle, le velouté éventuel des surfaces, le mouvement et les directions des formes, le jeu des vides, la vulnérabilité paradoxale, la légèreté dominent des ensembles qui renvoient à une série d’interrogations.
La volontaire pauvreté minimaliste devient une conscience aiguë d’un fait premier de l’art : la plasticité est avant tout une affaire de formes plutôt que d’objets. Le « sujet » de l’œuvre est une empreinte. Celle-ci est à la fois un vestige et un état naissant, un point de vie prenant éventuellement racine sur ce qui disparaît. Le tout selon une lecture productrice d’une connaissance plus intime et rapprochée de l’être en son essence.
Deux solutions s’imposent alors à celui qui contemple de tels travaux. Ou bien il choisit de s’en éloigner tant ils résistent. Ou bien il cherche une connaissance plus charnelle. Et soudain l’objet de la vision devient celui du toucher au moment où l’œuvre nous dessaisit de nous-mêmes. Richard Learoyd crée donc des portes empreintes incongrues dont la matière-image devient le champ de fouille du destin de l’être.
Les photographies sont pénétrantes, perturbantes. Elles rappellent un passé, un présent, mais elles n’ont de cesse de les dépasser. Elles deviennent par leurs formes simples et subtiles, des icônes primitives du futur. Certes l’univers créé reste abyssal mais en même temps un processus de croissance continue de solliciter le propre imaginaire du spectateur. Ce processus convoque le regard, les pensées, l’affect et parfois le toucher. En ce sens le corps en demeure l’enjeu tout autant que l’esprit.
Jean-Paul Gavard-Perret
Richard Learoyd est un photographe anglais
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