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Dans les montagnes chinoises, John Hopkins

Ecrit par Catherine Dutigny/Elsa 20.06.17 dans La Une Livres, La Table Ronde - La Petite Vermillon, Les Livres, Critiques, Roman, USA

Dans les montagnes chinoises, juin 2017, trad. anglais (USA) Danièle et Pierre Bondil, 224 pages, 7,10 €

Ecrivain(s): John Hopkins Edition: La Table Ronde - La Petite Vermillon

Dans les montagnes chinoises, John Hopkins

 

L’Amérique du Sud est connue pour ses coups d’État, ses juntes militaires, ses allers-retours entre gouvernements démocratiques et dictatures. Le Pérou n’échappe pas à la règle. Non situé dans le temps de manière précise, mais par déduction probablement au début des années ‘80, Dans les montagnes chinoises, surnom des Andes provenant de l’origine asiatique des Indiens venus peupler ce sous-continent il y a plusieurs milliers d’années, est un roman qui aborde de manière romanesque la difficulté, voire dans ce cas précis l’impossibilité, d’établir de façon pacifique et stable la démocratie dans un pays déchiré par l’antagonisme de deux mondes irréconciliables.

Opposition des cultures, héritées des Incas pour la majeure partie de la population indigène avec sa mythologie toujours très prégnante et de l’Espagne catholique pour la minorité descendant des colons espagnols, frontières des langues, le quechua pour les Indiens et l’espagnol pour les grands propriétaires terriens, grand écart entre l’extrême pauvreté de beaucoup et l’insolente richesse de quelques-uns, l’illettrisme et le savoir, etc.

Les héros, un métis, James, et sa cousine, Rosalinda, petite-fille de l’ancien président de la République et fille de celui qui est sur le point de recevoir l’investiture suprême, le premier partant rejoindre la jungle bolivienne à la recherche de ses origines, la seconde l’accompagnant par esprit d’aventure, vont, dans leur traversée des Andes en train, devenir les proies de guérilleros décidés à porter un coup fatal à toute forme de projet démocratique.

Derrière les péripéties de ce long voyage, deux formes « d’idéalisme » s’affrontent en un combat mortel. Celui de Joshua Calderón, père de Rosalinda, humaniste aussi proche de ses enfants que de ses paysans, parlant couramment le quechua, qui rêve d’un Pérou démocratique, égalitaire, déplore les famines récurrentes et s’insurge mollement contre les conséquences des prospections pétrolières et de la déforestation qui menacent l’existence même de tribus indigènes. Celui du docteur Morales, double fictionnel d’Abimael Guzmán, ce professeur de philosophie maoïste dissident du parti communiste qui fonda en 1970 le mouvement du Sentier lumineux, prônant une guerre de guérilla idéologiquement proche de la Révolution culturelle de Mao Zedong. Deux visions d’un Pérou où toute forme de dialogue est d’avance vouée à l’échec. Des forces et des idées contraires dans un pays où la majorité de la population fidèle à la mythologie inca croit encore aux notions cycliques du monde et est persuadée que ce qui a été, reviendra :

« Quand la roue de la vie aura accompli le cercle complet et que les forces de vie s’élèveront en un arc ascendant, les gloires anciennes seront restaurées et les hommes reprendront les rôles d’antan, jadis tenus par d’autres qu’ils n’ont jamais connus, pas même dans l’ombre fantomatique d’une tradition disparue. ¿Quién sabe ? » (p.130).

C’est sans emphase et d’une plume délicate que John Hopkins tisse la toile d’un mélodrame où les destins des uns et des autres semblent avoir été écrits dans la pierre. Un récit poignant, mélange d’absurdité et de fatalisme, à l’image de ces parties de football fallacieusement réconciliatrices ou de ces deux pneus Firestone neufs importés par Dot, une américaine, pour remplacer ceux crevés du camion de son fils rescapé du Vietnam et reconverti au Pérou dans l’humanitaire. Des pneus destinés à colporter la culture auprès des peuplades déshéritées des hauts plateaux et qui finiront par caler les tirs d’une mitrailleuse.

Publié pour la première fois en anglais en 1990, puis traduit en français et publié par La Table ronde en 1989, cette version poche se glissera naturellement dans vos bagages de vacances.

 

Catherine Dutigny

 


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A propos de l'écrivain

John Hopkins

 

John Hopkins est né en 1938 dans le New Jersey. Après des études de sciences politiques à l’université de Princeton, il entreprend une série de voyages à travers le monde, puis s’attarde au Maroc pendant dix-sept ans où il fut membre du groupe littéraire anglo-américain dans les années 1960 à 1970, avec William Burroughs et Paul Bowles. Six de ses livres ont été publiés à La Table Ronde : Le Vol du « Pélican » (1988), Dans les montagnes chinoises (1989), Rendez-vous ultime (1991), Adieu, Alice (Quai Voltaire, 1999/La Petite Vermillon, 2001) et Carnets d’Amérique du Sud (1972-1973) (Quai Voltaire, 2005), Carnets du Nil blanc (Quai Voltaire, 2012).

 

A propos du rédacteur

Catherine Dutigny/Elsa

 

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Rédactrice

Membre du comité de lecture. Chargée des relations avec les maisons d'édition.


Domaines de prédilection : littérature anglo-saxonne, française, sud-américaine, africaine

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