Dans le lit d’un rêve, Jasna Samic
Dans le lit d’un rêve, M.E.O. éditions, février 2017, 224 pages, 17 €
Ecrivain(s): Jasna Samic
Vie et mort entremêlées comme une chaîne qui rouille et cèdera à on ne sait quel endroit pour ouvrir le maillon de l’Eternité, Dans le lit d’un rêve mène Jasna à travers ce brouillard à fantômes qu’on appelle Vie malgré l’affleurement du cauchemar : « La vie n’est que Ténèbres qui miroitent Par les corps éteints Des étoiles mortes ».
« Sarajevo », ce mot au nom de ville qui sonne comme tout ce qui devrait faire le souci d’une vraie Humanité, a laissé chez cet auteur qui écrit aussi en serbo-croate des traces indélébiles qui, en quelque sorte, « visionnent » la tragédie à travers le film de sa vie : « Heureux de nous revoir, nous sommes allés dans un café Tout près des sculptures de fœtus Alignés comme des soldats Collés à la poitrine De leur mère en plastique ».
Le titre du recueil paraît porteur de rêves mais quand l’auteur se réveille, elle précise sa réalité qui n’en devient que plus forte : « Ceci est un souvenir, pas un rêve » précise-t-elle alors, un peu comme si on s’asseyait à Hiroshima sur un banc devant le dôme brûlé et qu’on se disait : « ceci n’est pas une carte postale » car, en effet, la ville martyre que fut Sarajevo lors d’une guerre sanglante, cruelle, a rejoint, dans notre conscience collective, et notamment à travers les images de sa bibliothèque réduite en cendres, les évocations hélas éternelles de la ville japonaise atomisée.
Evoquant des rencontres soi-disant rêvées avec des artistes dont elle ne donne pas le nom, Jasna redonne de la couleur et surtout de la consistance matérielle au sens premier (matériaux, plâtre) à une reconstruction de son rêve qui ainsi refaçonne la réalité de ce qui aurait dû être : « Le monde n’est qu’un rêve Mais toi l’endormi tu imagines qu’il est Réel » poursuivant par : « Elle n’entend pas ces mots La Pénitente et, Muette, caresse La tête du mort sur ses genoux ».
Ces textes de la douleur empreints d’une douce rêverie pour éviter de parler d’un cauchemar direct sont la mémoire de Sarajevo, de Srebrenica. C’est une œuvre qu’on souhaite aussi forte que l’image de la bibliothèque brûlée de Sarajevo : « Soudain on entend le rire Rire d’un étranger Trempé dans les larmes Des égorgés » et le texte semble signé « Srebrenica » en italique.
Un texte de guerres, de fosses communes pour dénoncer.
La poète est aussi voyageuse, exilée de partout, en quelque sorte, citant là un souvenir à Paris au café de Flore ou encore d’étonnantes évocations de tableaux de Félicien Rops à Namur, cherchant peut-être les filons de la poésie, de la beauté en se souhaitant européenne, voire universelle avec un bonheur, un rêve sans doute mais toujours caressé au moins d’un soupçon d’épreuve : « Je pense aussi à la femme-ombre Qui glisse lentement à travers les poèmes Comme les gouttes de pluie ce dimanche A Namur ».
Un témoignage. Un vrai. Une poète. Une vraie. Immense. Merci Madame, vous qui « venez de la ville où vous étiez reine des ombres pleurant les jours heureux ».
Superbe photo de couverture à partir d’une huile de Monique Thomassetie, écrivaine elle-même et aussi préfacière de l’œuvre.
Patrick Devaux
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