Dans la vie noire et blanche de Robert Mapplethorpe, Judith Benhamou-Huet
Dans la vie noire et blanche de Robert Mapplethorpe, mars 2014, 216 pages, 17 €
Ecrivain(s): Judith Benhamou-Huet Edition: Grasset
Sur les traces de Robert Mapplethorpe
Ceux qui le connaissent gardent de Robert Mapplethorpe plusieurs images. Tout d’abord, celle du photographe de génie qui marqua la scène artistique new-yorkaise dans les années 70 et 80. Ensuite celle du provocateur, avec ses photos homo érotique ou même plus crues, « scandaleuses », taxées par beaucoup de pornographiques et révélatrices d’un « art dévergondé » selon l’Amérique puritaine. Enfin, celle d’un homme malade, ravagé par le sida – dont il meurt le 9 mars 1989 – qui figea lui-même son visage de mourant dans une photo devenue célèbre : « Ombre livide dans un halo noir. Au premier plan une main solide tient une canne dont le pommeau est une tête de mort sculptée dans le bois ».
Dans ce récit biographique, Judith Benhamou-Huet souhaite explorer les différentes facettes du photographe et a interrogé, pour y parvenir, une quarantaine de personnes parmi lesquels Pierre Bergé, Bob Calacello, Bettina Rheims ou Michael Stout.
Ils en parlent tour à tour comme du « Querelle du Queens, du Dorian Gray du Bowery, du businessman, du jeune homme dégingandé et du mondain élégant ». Ce que retrace ici la biographe est le caractère sulfureux du travail de l’artiste, les obstacles rencontrés pour la diffusion de son œuvre, notamment aux Etats-Unis, peu de temps après sa mort, ses opposants mettant sur le même plan art et morale. Elle évoque aussi la fascination du photographe pour le sexe « et ce qu’il peut produire de plus extrême dans les comportements ». New York change, à cette époque : le microcosme homosexuel, les bars SM, les lieux de drague se développent. Robert Mapplethorpe y évolue, y trouve nombre de ses modèles et montre ce que peu veulent alors voir. Les relations sont par ailleurs envisagées : parmi bien d’autres, Andy Warhol, Patti Smith, Loulou de la Falaise Carolina et Reinaldo Herrera, Diane de Beauvau-Caron – reine de la nuit new-yorkaise des années 70 – traversent le récit et tissent le réseau qui était celui de Mapplethorpe. L’ambitieux, qui vise une réussite sociale, matérielle et artistique, l’amoureux, sont quelques-unes des autres facettes auxquelles l’auteure s’intéresse ici.
L’ouvrage de Judith Benhamou-Huet se lit agréablement et dépeint de manière précise et plaisante le décorum dans lequel le photographe a évolué. L’histoire de Mapplethorpe est aussi celle d’une époque et d’un milieu. Mais le biographique – à l’exception de quelques pages où il éclaire de manière très intéressante et plus profonde la création artistique (on pense aux quelques lignes sur la question du genre ou aux pages sur les questions d’ordre esthétique) – n’a souvent d’autre fin que lui-même. L’impression laissée est celle d’une œuvre qui défile sous nos yeux de manière aveugle, c’est-à-dire sans être vraiment éclairée ce qui, pour un livre consacré à un si grand photographe, est pour le moins dommage. A évoquer les différentes facettes de l’homme – ce qui n’est certes pas dénué d’intérêt – on en vient parfois à passer à côté de l’artiste ou plus précisément du sens, de la portée, de la force esthétique de son travail. Mais là n’était pas le projet de la biographe… Il faudra alors se rendre à l’exposition Mapplethorpe-Rodin ou à la rétrospective Mapplethorpe au Grand-Palais à Paris (Judith Benhamou-Huet est pour ces deux expositions co-comissaire), pour retrouver la puissance d’une œuvre photographique marquante et d’en percer les secrets, maintenant que ceux de l’homme le sont.
Arnaud Genon
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