Dans l’épaisseur de la chair, Jean-Marie Blas de Roblès
Dans l’épaisseur de la chair, août 2017, 384 pages, 20 €
Ecrivain(s): Jean-Marie Blas de Roblès Edition: Zulma
Dans l’épaisseur de la chair est le magnifique hommage d’un fils à son père, un roman passionnant, brillant, parfois drôle, qui interroge l’Histoire autant que la fiction, dans un jeu de miroir et de mémoire.
C’est un texte qui fraye avec l’histoire familiale et l’Histoire de l’Algérie française, un texte qui soulève un pan du mystère de l’identité pied-noir, terme qui désigne les Français d’origine européeenne installés en Algérie française depuis 1930 jusqu’à l’indépendance de juillet 1962.
Ces allers et retours entre le temps du fils, Thomas, et le temps du père, Manuel Cortes, fils de Juan et petit-fils de Francisco, Espagnol émigré à Sidi-Bel-Abbès, devenu chirurgien puis médecin, prennent place alors que le père est âgé de 93 ans au moment de l’écriture et non loin du seuil de la mort.
L’injonction d’écrire vient sans doute un jour de cette sentence énoncée par le père, Manuel : « Toi, de toute façon, tu n’as jamais été un vrai pied-noir ! », quand le fils, Thomas, le questionne avec trop d’insistance sur la guerre d’Algérie et fait des commentaires jugés partiaux. Le jeune homme prend cette phrase en plein visage, comme une insulte. Le droit du sol entre tantôt en collusion, tantôt en collision avec le droit du sang, comme toujours dans les destinées d’expatriation. Car l’histoire des pieds-noirs, c’est aussi celle de la guerre d’Algérie, où les Français d’Algérie se trouvent confrontés à la contrainte de défendre la métropole contre le peuple dont ils partagent la vie, amis, voisins, collègues.
C’est ensuite l’horrible moment du départ précipité en France métropolitaine, en même temps que les dernières familles chassées de la terre algérienne où elles vivaient depuis plusieurs générations. Car l’histoire des pieds-noirs, c’est aussi celle d’un rapatriement forcé, d’un arrachement à la terre algérienne et à la vie d’avant, construite et heureuse.
Revenus en France, dans le Var, l’auteur et son père s’adonnent à la pêche non loin de la rade de Toulon. La connivence est présente entre les deux hommes, tandis qu’un perroquet nommé Heidegger, sorte de conscience ou d’alter ego ironique, donne la réplique à Thomas.
A la fin du livre se trouve la réponse au reproche initial du père au fils, qui exprime la prise de position réfléchie de la première génération de pieds-noirs revenue en France :
« Si être pied-noir consiste à faire partie du million de petites gens que le non-respect des accord d’Evian a humiliées, spoliées, chassées de leur terre natale, et qui portent en eux ce déchirement irrémédiable, alors je suis, de fait, un de ceux-là.
Si être un “vrai” pied-noir consiste à déplorer que la France ne soit pas allée jusqu’au bout de son “œuvre civilisatrice”, à admettre la colonisation comme un péché véniel dont on pourrait s’affranchir au vu des améliorations introduites en Algérie, alors mon père a raison, je n’appartiens pas à cette catégorie ».
L’expatriation, vécue comme une richesse, mais aussi comme un déchirement et un déracinement, offre, comme toujours, un terrain fertile à la réflexion sur l’identité humaine et le sens que l’on donne à sa vie.
Sylvie Ferrando
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