Dans l’attente de toi, Alexis Jenni (par Patrick Devaux)
Dans l’attente de toi, L’iconoclaste, 2016, 246 pages, 22,50 €
Ecrivain(s): Alexis Jenni
Les mots échappent. Les mots ne suffisent pas à l’auteur pour dire son amour ; rien ne l’universalise convenablement.
Cette obsession ravira l’intrigue que suscite ce roman qui traverse les siècles dans l’admiration des grands peintres : « J’aime chez toi cette inflexion de la courbe de ton corps, qui donne sa forme et son élan, comme la courbure d’un arc qui donne puissance et ressort ; et je sais gré à Bonnard de me montrer cet endroit exactement, par cette tache de lumière intense qui vibre au centre de ce tableau ».
En psychologie, s’il s’agissait de suggérer une personne à travers une autre, on appellerait cela un « transfert ». Ici, c’est l’idée même de l’abstraction de l’Amour qui est « transférée » dans quelques œuvres d’Art certes bien choisies et certainement pas au hasard : « Ce sont des figures, rondes et molles mais dentées, qui aboient à la base d’un crucifix où pend quelque chose d’encore vivant ». C’est de cette façon qu’Alexis Jenni ramène dans son sujet la référence au grandiose Francis Bacon, le peintre des extraordinaires « portraits du pape Innocent X » d’après celui peint par Velasquez.
En effet cet amour impossible à dire en mots éclate en coups de génie picturaux révélés par d’autres. Le tactile joue un tel rôle que l’auteur émaille, outre les illustrations interpellées car vues sous un tout autre angle qu’une visite conforme à une banale « exposition », son propos de répétitions manuscrites, ce qui, curieusement, m’évoque le son, la vibration. Cet amour rappelé avec le talent, voire le génie, de quelques grands de la peinture approchée de façon subtile, semble tourner autour du corps sans y toucher, tantôt caresse, tantôt chair vive, comme pour s’empêcher de se l’approprier ; comme si cet amour unique et transcendé avait cette obligation d’éternité pure que révèlent, de toutes époques, les œuvres majeures.
Outre une fine approche des tableaux évoqués à travers la psychologie supposée de leurs créateurs, Alexis Jenni s’épanche également en détails relevant de la critique d’Art. Cette obsession latente avec l’Art pour toile de fond m’a parfois fait penser au livre sublime d’Adamek, l’auteur belge de La Couleur des abeilles, même si l’obsession est vécue autrement.
Patrick Devaux
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