D’une île à l’autre, Patrick Renou (par Patrick Devaux)
D’une île à l’autre, Patrick Renou, août 2021, 320 pages, 20 €
Edition: Presses de la Cité
Tout est vrai dans ce livre pourtant un roman. Dans sa préface l’historienne Arlette Farge parle d’un style tendre et persuasif.
J’ajouterai qu’il est sincère et efficace à plus d’un titre.
Tout d’abord, le romancier est un travailleur acharné de détails et de documentations diverses à partir du moment où le hasard lui met entre les mains, chez un bouquiniste, un livre ancien sur les paquebots et qui lui révèle, à bord, la présence d’une passagère clandestine donnant naissance, en pleine mer, à une petite fille. Ensuite il cherchera à savoir et construira, autour de la vie d’un couple et de l’enfant à naître, un roman profondément humain et attachant.
Passagère clandestine sur « L’Ile de France », Milena quitte la Lettonie avec New York pour objectif.
Enceinte, sur le bateau, initialement, personne ne la comprend : « Elle raccrocha, regarda Milena comme la Sainte Vierge “Mais d’où tu viens ?”. Toujours est-il que sainte, célibataire ou fille de joie, Jeanne la couvrait de soins ».
Un équipage entier, pétri d’humanité, va organiser, à bord, sa survie et celle de Sarah. Incroyablement, un match est organisé à bord avec la complicité de Marcel Cerdan, le grand boxeur de l’époque, ce qui donne l’occasion au narrateur d’en décrire admirablement l’ambiance. Le produit de la vente des billets pour assister au match est remis à Milena pour organiser sa survie à son arrivée.
L’Humanité après l’horreur car Milena, juive lettone, traquée par les nazis, a connu l’enfer des camps : « En décembre 43 j’ai été transférée au camp de Riga Kaiserwald, au nord de Riga… Entre les arbres je reconnaissais ma ville. Nous avons longé le bois de Mežaparka. Dans le camp nous étions peut-être dix mille, Lettons, Russes, Biélorusses, Polonais, Hongrois. Un campement semblable aux autres camps. C’était Eduard Roschmann, le boucher de Riga qui en était le chef. Les mêmes bourreaux. Les mêmes baraquements, une cinquantaine de mètres sur six ou sept, séparés en deux ailes, posés sur les mêmes socles de béton, entourés de barbelés électrifiés, gardés par les mêmes criminels ».
Tout est intéressant dans ce roman où le transatlantique, vu sous un certain angle, peut également être un « personnage central » : « L’Ile se débrouillait bien sous la Grande Ourse. Les hélices vrombissaient à trois cents tours minute. Puissance maximale, trente-deux chaudières, quatre moteurs Diesel, le navire filait vers l’aube dans la beauté d’un océan caché par la nuit. Avec sa ligne effilée, l’Ile avait l’allure d’un brise-glace capable d’ouvrir un chemin au milieu de la banquise ».
Ce roman rappelle, outre les conditions de ce qui peut être vécu dans un contexte de migration, que rien ne peut entraver la décision d’une volonté forte.
Le reste n’est que hasard. Chance parfois et aussi… douleurs.
Le dénouement est particulièrement émouvant.
Patrick Devaux
Patrick Renou, écrivain français, né à Paris, a publié chez différents éditeurs : D’une île à l’autre (Presses de la Cité, 2021) ; Tina, l’amour infini de René Char (Le Cherche Midi, 2012) ; Seuls les vivants meurent (Éd. Le Temps qu’il fait, 2008) ; Camus, de l’absurde à l’amour (éd. Paroles d’Aube, réed. La Renaissance du Livre, 2001) ; Le Rendez-vous (Albin Michel, 1999) ; Brisure (Éd. Deyrolle, 1996, réed. Verdier) ; Tu m’entends ? (Éd. Deyrolle, 1994, rééd. Verdier) ; Sorianoda (Éd. de l’Envol, 1992).
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