Cueillette matinale, Martine Rouhart
Cueillette matinale, éditions Demdel, mai 2018, 67 pages, 10 €
Ecrivain(s): Martine Rouhart
La multi romancière, notamment récemment de La Solitude des étoiles(éd. Murmure des soirs), se jette à corps perdu dans une tendre poésie avec une profondeur que ne laisse pas soupçonner le titre.
Martine pratique la discrétion comme un oiseau le vol.
Son instinct va au-delà du poème, au-delà d’une cage aux ailes grandes ouvertes comme elle ouvre ses bras : « s’évader de toutes les cages, s’attaquer au vide », nous dit-elle. Cette attitude m’a fait penser à celle de Catherine Deneuve dans La Sirène du Mississipi, un film de François Truffaut de 1969 où l’héroïne attend avec une cage à oiseaux sur un quai portuaire… La cage et l’oiseau : la liberté et son contraire… dans un même mouvement… l’important étant le moment où quelque chose ou quelqu’un intervient au niveau de l’ouverture, au niveau de l’échappatoire…
Son coup d’essai poétique est derechef un coup de maître : éloquence mesurée des mots, simplicité ouverte à des poésies suggérées davantage qu’écrites. Cela rend son secret intérieur encore mieux lumineux et participatif : « c’est l’heure du voyage muet au fond de soi/ l’heure de retrouver les absents ».
Elle console dans son envie d’être consolée : « viens glissons hors du monde dans le ralenti du temps perdu dans nos propres vies pour entrevoir peut-être le cœur des choses ».
Les thèmes classiques sont pourtant tellement récurrents de « pensées ailées » que la moindre bribe d’image se mue en intériorité étalée à même le paysage.
A la fois ralentie dans le souhait et pressée de capter autre chose de la réalité convenue, l’auteur donne ainsi cette force au temps qui la fige dans son observation, empêchant presque la décision qui laisserait tomber de son tablier de mots la clé de la cage qu’elle trimballe car « même attendre il faudrait le faire sans hâte ».
C’est que Martine prend le temps de la réflexion, car « dans le désordre des mots » il convient bien « d’avancer sur la pointe des pieds » puisqu’un « seul mot peut troubler le silence ».
Une poète de vive conviction lumineuse qui veut croire en ce qu’elle dit puisqu’elle est, elle-même, « une fenêtre allumée dans la nuit si peu de chose qui parfois donne tout son sens à la vie », les lucarnes nocturnes trouvant alors leur apothéose dans cette superbe et efficace conclusion : « A peine levé/ le jour se renfrogne/ à quoi peut-il s’attendre/ résigné dans le gris/ jusqu’aux barrières du soir/ qu’importe pour moi/ j’ai la lumière de tes yeux ».
Patrick Devaux
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