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Croix de cendre, Antoine Sénanque (par Philippe Chauché)

Ecrit par Philippe Chauché 21.09.23 dans La Une Livres, Les Livres, Critiques, Roman, Grasset

Croix de cendre, Antoine Sénanque, Grasset, août 2023, 432 pages, 22,50 €

Ecrivain(s): Antoine Sénanque Edition: Grasset

Croix de cendre, Antoine Sénanque (par Philippe Chauché)

 

« Toulouse était une ville de brique, ce qui en faisait une ville de chrétiens. La brique était la signature de la pauvreté, moins chère que la pierre, elle convenait aux ordres mendiants et avait la couleur du sang des Cathares qui avait fait de la cité la capitale des Dominicains.

– J’aime bien cette ville, dit Robert.

– Pourquoi ?

– Je ne sais pas…, on y sent la foi ».

Croix de cendre est le roman de l’amitié, de la foi, de la fidélité, de la terreur de l’Inquisition et celui de Maître Eckhart (1), le grand mystique de langue et de cœur, le théologien qui l’inspire et l’illumine.

Roman du moyen-âge aves ses joies et ses rigueurs monacales, ses passions lettrées et fraternelles, ses terreurs et ses grâces. Le roman s’ouvre dans le monastère de Verfeil en Languedoc, le 11 février 1367, pour s’achever sur et dans le Rhône, qui conduit l’Inquisiteur à Avignon. Comme pour Eckhart, ce sera son dernier voyage. Le roman remonte le temps historique, qui devient lumineusement romanesque, où une dernière fois les deux amis, que tout oppose, se retrouveront dans la mort. Tout commence avec Antonin et Robert, deux moines dominicains, tous deux prient et vivent dans le monastère que dirige Guillaume, leur prieur, dont nous découvrirons qu’il fût l’ami de Maître Eckhart, son fidèle témoin de plume et de cœur. Croix de cendre les accompagne dans leur voyage vers Toulouse pour y récupérer un vélin, qui deviendra sous la plume d’Antonin le testament de Guillaume, testament que l’inquisiteur tentera par tous les moyens de récupérer, car il en va de sa réputation et de son avenir, qu’il voit radieux à Avignon puis à Rome. Ce testament est aussi celui de Maître Eckhart, celui de la peste noire, mais aussi des béguines (2), de Mathilde et de sa fille Marie, détruites par l’inquisiteur. Les béguines illuminent elles aussi ce roman d’admiration pour ces femmes de foi et de liberté. Ce roman éblouissant nous entraîne à la Sorbonne, où Maître Eckhart embrase sa chaire, à Kaffa qui voit naître la peste noire, dans les monastères et auprès des béguines, il ne craint pas les dénonciations, les faux procès, et les accusations mensongères, il s’installe au cœur de sa raison qui est celle du cœur.

« Au scriptorium, Antonin calligraphiait patiemment le texte corrigé de ses parchemins sur le vélin. Le prieur ne souhaitait pas une dictée précise qui aurait contraint sa mémoire. Il préférait la conversation. À charge pour son secrétaire de mettre en forme en travaillant la composition avec lui. Pour la rédaction, il avait choisi le français, langue vulgaire pour un document d’une si grande importance. Antonin s’en étonnait, mais le prieur disait que le latin était pour les clercs et ce livre pour le monde ».

Antoine Sénanque nous offre un livre magistral, un livre d’aventures, un roman que l’Histoire a inspiré et ébloui, tant celle de ces moines dominicains, des béguines admirées, de Maître Eckhart, l’ont vivifié. Sa grande force, comme celle du prieur s’adressant à Antonin, est la composition. Composer un roman comme l’on compose une pièce musicale, une symphonie sûrement ici, mais aussi un sermon, avec ses éclats et ses rebondissements, mais aussi avec toute l’attention de la juste mesure, de la belle phrase, des accords parfaits, d’un lyrisme maîtrisé. Le style d’Antoine Sénanque s’accorde bien à cette musique qui a traversé les siècles, à ce chant heureux et douloureux, inspiré par le savoir bien vivre et bien écrire dans la discrétion et l’effacement de Maître Eckhart, l’inverse de ce que disent ses accusateurs dont l’effrayant Kanssel qui ne cessait de prêcher ses leçons de savoir mal vivre. Ces moines vivaient dans la lumière, et les ténèbres de l’Inquisition ont voulu les recouvrir ; le temps a heureusement donné raison à ces dominicains inspirés, et au plus brillant d’entre eux, Maître Eckhart.

 

Philippe Chauché

 

(1) Eckhart von Hochheim, dit Maître Eckhart, né vers 1260 à Hochheim dans le Thuringe en Allemagne (Saint-Empire romain germanique) et probablement mort en 1327 ou 1328 à Avignon où une bulle signée par le pape en 1329 condamne des extraits de ses thèses réels ou supposés.

(2) Ce mouvement religieux sous règle monastique voit le jour à la fin du XIIe siècle à Liège, ces femmes sont célibataires ou pour certaines veuves mènent une vie religieuse non cloîtrée, elles sont proches des ordres mendiants.

 

Antoine Sénanque est l’auteur notamment de BlouseLa Grande GardeL’Ami de jeunesse et Salut Marie (Grasset).

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A propos de l'écrivain

Antoine Sénanque

Antoine Sénanque est né en 1959. Neurologue de formation, il a publié chez Grasset un récit et plusieurs romans, parmi lesquels L’Homme mouillé, en 2010.

 

A propos du rédacteur

Philippe Chauché

 

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Rédacteur

Domaines de prédilection : littérature française, espagnole, du Liban et d'Israël

Genres : romans, romans noirs, cahiers dessinés, revues littéraires, essais

Maisons d’édition les plus fréquentes : Gallimard, Minuit, Seuil, Grasset, Louise Bottu, Quidam, L'Atelier contemporain, Tinbad, Rivages

 

Philippe Chauché est né en Gascogne, il vit et écrit à St-Saturnin-les-Avignon. Journaliste à Radio France durant 32 ans. Il a collaboré à « Pourquoi ils vont voir des corridas » (Editions Atlantica), et récemment " En avant la chronique " (Editions Louise Bottu) reprenant des chroniques parues dans La Cause Littéraire.

Il publie également quelques petites choses sur son blog : http://chauchecrit.blogspot.com