Courrier des tranchées, Stefan Brijs
Courrier des tranchées, août 2015, 591 pages, 24 €
Ecrivain(s): Stefan Brijs Edition: Héloïse D'Ormesson
La Première Guerre mondiale, à son déclenchement, constitue l’entrée véritable dans le XXe siècle. C’est ce que nous disent les historiens tandis que les écrivains y ont puisé les éléments de romans ayant marqué leur époque, et la littérature de leur pays d’origine. Dans son roman Courrier des tranchées, Stefan Brijs, écrivain belge néerlandophone, prend le parti de décrire la guerre, vue de l’opinion publique, dans les premiers chapitres du roman.
Nous sommes en 1914, dans un quartier populaire de Londres, dans l’East End. John Patterson, étudiant à l’université, est soumis à la pression patriotique, chauvine, déclenchée par les premiers développements du conflit. On le somme de s’enrôler, de faire son devoir, de servir son pays… Ce garçon, pour sa part, préfère étudier la littérature, se plonger dans les poèmes de Keats, les œuvres de Thackeray, dont il apprécie La Foire aux Vanités, Kipling, Milton. Il est en cela aidé précieusement par un ami du nom de William Dunn. Ce dernier n’a cure de cette fièvre patriotique qu’il assimile à de l’imbécillité, de la propagande, de la manipulation. Il initie John Patterson à la littérature allemande, à Goethe dont il fait découvrir Les souffrances du jeune Werther et Faust.
Après avoir découvert que son père, qui est facteur au Royal Mail, a omis d’envoyer des courriers annonçant la mort de soldats, habitant dans son quartier, John Patterson s’engage, alors que son ami Martin Bromley l’a devancé de quelques mois. John Patterson, dont la mère est très tôt décédée, est le frère de lait de Martin Browley. Il a été élevé en partie par elle.
Au front, c’est la découverte de l’armée, de sa discipline arbitraire, de sa routine, de ses contraintes multiples. John Patterson est ainsi amené à faire le courrier de ses compagnons d’infortune : Jimmy arker, Simkins. Il observe également les attitudes du caporal Chapman, les choix du lieutenant Ashwell et les errements du capitaine Brooke. L’habileté de l’auteur, c’est de faire correspondre à la conduite de ces hommes des traits mentaux, des postures, des attitudes. Bien sûr, John Patterson découvre les horreurs du conflit : des charniers, des monceaux de cadavres dans la boue, des trains de blessés atrocement mutilés. L’auteur souligne avec une grande pertinence la nécessité de rapporter les faits de guerre avec l’arme de l’illusion, de la reformulation, du mensonge, aussi.
John Patterson apprend à la fin du roman que son ami Martin Browley n’est pas mort au champ d’honneur, mais a été fusillé pour l’exemple…
Ce roman est bien construit, il progresse lentement, nous introduit dans des mondes très différents les uns des autres comme pour illustrer ce que la plongée dans un conflit aussi cruel que la Première Guerre mondiale peut provoquer dans la vie d’individus.
On pense au film de Kubrick (Les sentiers de la gloire), de Losey (Pour l’exemple) qui sont dans la même ligne thématique que ce roman. Il fait penser également au roman de Xavier Hanotte, Derrière la colline, dont le thème est très proche.
La lecture de ce roman nous aidera dans la mise en évidence du rôle du travestissement du récit historique, omniprésent, par les acteurs de l’histoire.
Stéphane Bret
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