Coups de griffes, spécial rentrée littéraire (par Alain Faurieux)
Dors ton sommeil de brute, Carole Martinez, août 2024, Gallimard, 400 pages, 22 €
Après avoir dépassé une hésitation première devant un titre qui maltraite un grand poète et une couverture qui semble indiquer que ce sont les petites filles qui naissent dans les choux, j’ai tout lu mon livre de CM. Comme quand on boit la cuillère que maman elle a dit que c’était bon pour notre gros bobo.
Bon, c’est pas bon. C’est même catastrophique. J’ai essayé de trouver dans ce ramassis de lettres, de mots, de phrases, une raison, un quelque chose qui permette de parler d’auteure. Rien trouvé. On a là une sorte de couette très 70´s, le matériau est laid, les couleurs aussi, les carrés s’emboîtent plus ou moins. On trouve, en vrac (non, non, pas de construction, que ce soit superposition, parallélisme, arc narratif, jeu choral, ou quoi que ce soit d’autre), des clichés femme battue, enfance malheureuse, décès douloureux, amour (avec un bon gros géant bourru) et New Age ringard, réalisme magique de salon de coiffure, avertissements écologiques. Et l’auteure nous donne des clés :
« Selon Gini P., ce fermier californien en passe de devenir une star aux États-Unis depuis qu’il a eu cette idée visionnaire de libérer ses vaches pour les sauver, les rêves de nos enfants portent les messages des esprits de la nature. Les chamans parviennent à entrer dans les songes d’autres rêveurs et à les diriger. Certaines personnes rêvent si fort qu’elles entraînent les autres dans leur espace onirique. Il doit y avoir un premier rêveur qui mène le rêve de tous les autres, un maître du rêve très puissant qui communique avec le monde-autre ».
Et tout ça emmené avec un mépris total de toute vraisemblance, même (et surtout) à l’intérieur d’une construction « magique ». Un phénomène mondial que la radio identifie, analyse et décrit sans erreurs en quelques heures ? On va y croire en 2024, post-Covid ? Un phénomène global effrayant qui n’entraîne ni manifestations ni massacres… et un nombre de morts à l’échelle du Luxembourg un 13 mars ? Chamans et grenouilles, rêves (que c’est la nature qui parle, man) sur l’ensemble du globe, de l’Amérique du sud à l’Inde, et la clé c’est… la bible. Qui doit être super mondiale et porte voix de mère nature. Rajoutez des paragraphes en italiques par ci par-là. Plusieurs voix s’expriment, mais même lorsque Carole Martinez utilise le « nous », le style est le même. Indéterminé. C’est pauvre, c’est bancal, ça aura sûrement un prix.
Mention spéciale aux pages finales, qui parviennent à surpasser les autres. Style roman photo. Et contenu itou.
Journal intime d’un maître chanteur, Philippe Vasset, Flammarion, août 2024, 224 pages, 20 €
Aura sans doute un prix. Contenu en rapport (enfin !) avec la couverture. Le tampon voulu cheap « rentrée littéraire », la photo vrai fake avec personnage vieillissant et pin-up de seconde classe. L’idée est là : un vrai faux journal avec enchâssement final et ancrage dans une réalité bien informée. Mais là où j’avais aimé (sans plus) Le Mage du Kremlin, je n’accroche absolument pas. Les références historico-littéraires de Casanova à Voltaire, en passant par Lupin, sont assénées avec la subtilité (cf. pitch éditeur) d’un bull-terrier en fin de vie. L’intrigue, appelons-là ainsi, n’est plausible que si l’on considère que l’ironie excuse tout. Si les personnages étaient creux ce serait presque un hommage à la « profession ». Ils sont juste ringards, épuisés avant d’être nés sous une plume cacochyme. Le style est sec sans être pointu, distant sans être clinique, une première personne sans jeu ou je. Le personnage a dû naître à l’orée des 80s, l’auteur a l’air d’écrire depuis les 70s. C’est petit, étriqué, tristounet. Les dernières lignes sont les meilleures : en mentionnant l’existence dans l’ouvrage d’une clé à destination des cognoscenti elles donnent au brouet son auto-validation. Le lectorat de Vogue apprécie paraît-il.
Kiffe kiffe hier ?, Faïza Ghène, Fayard, août 2024, 290 pages, 20,90 €
Je lis Kiffe kiffe hier (avec point d’interrogation). C’est pas mal, je ris, je souris. Ça se lit très vite. L’auteure de 39 ans fait parler un alter ego de 35 ans. Attente d’un divorce annoncé, courses jusqu’à la grille de l’école, entrevue avec l’instit. Tranches de vie et effet de réel. J’aime bien.
Mais puisque m’avait échappé Kiffe kiffe demain (2004, traduit en 26 langues, 400.000 exemplaires…), je fonce le trouver. Écrit par une jeune auteure, de très très courts chapitres, un style très oralisant, des tranches de vie (bon, l’alter ego s’éloigne un peu d’une jeune fille auteure-réalisatrice de courts-métrages, textes courts etc., puisqu’on l’envoie en CAP coiffure).
Et zut, j’aurais pas dû. Parce que du petit bouquin gentillet, Guène a tiré un petit bouquin gentillet. Vingt ans plus tard. Et le problème n’est pas (même si ça craint) le piétinement / recul des banlieues, mais le manque d’évolution de l’écriture. Ok, il y a des mots en arabe, graphie et tout et tout ; et la blagounette récurrente sur « combien de fois peut-on officiellement écrire le nom d’ALLAH dans un texte en français ? ». Mécaniquement on nous ressort les personnages, nous rappelle un chouïa de leur vie et en rajoute un coup. Les phrases sont un peu plus longues, l’humour un peu plus adulte. Et ça fait un tout petit livre. Et on aurait bien voulu que Doria ait une vie. Mais c’est sympa. Est-ce suffisant ?
En eaux vives, Alice Pol, Robert Laffont, mai 2024, 304 pages, 20 €
Un livre difficile à refermer. Parce qu’on est déjà endormi. Je n’ai réalisé qu’après l’avoir fini qui était Alice Pol. Pas que ça change grand-chose. C’est un très mauvais livre, vraiment très mauvais. Mais à un niveau tel que l’on se demande comment on en est arrivé là. Plus de relecture chez Laffont post-covid ? copinage ? Ou positionnement judicieux vers un lectorat de plus en plus infantilisé ? C’est un thriller dit l’éditeur. Sans suspense, violence, sexe ou armes ou jeux de pouvoir. Une intrigue A, une intrigue B et une sous-intrigue. Intrigue A impossible logistiquement, géographiquement, chronologiquement et psychologiquement. La B est plus intéressante mais l’auteur et sa création ne s’y intéressent à aucun moment. La C concentre les défauts des deux à une échelle de modèle réduit. Personnages ? Un personnage central dont on se fout de savoir si Charlie est son nom ou son prénom, dont je situais l’âge entre 35 et 50 avant de voir écrit, quelques pages avant la fin, que « la jeune femme » approche la quarantaine. Un personnage censé « penser autrement ». Qui ne résoudra rien. Le truc de Pol c’est donc (d’autres auteurs ont sur des bases semblables écrit de sacrés livres) de jouer sur l’humour, l’ironie, les accidents, les coq-à-l’âne, etc. etc. Pourquoi pas ?
Seulement voilà, et c’est là le pire : l’écriture de Pol est tellement catastrophique qu’il faudrait souligner, rayer, annoter. Lourdeurs et maladresses sont les constituants des meilleures phrases. Qui commencent souvent par des pronoms à l’antécédent trop éloigné ou absent (ou erroné) ; les termes d’une opposition sont bancals (par le champ lexical, le genre, le nombre, ou n’importe quoi d’autre), les images visent tellement à être originales et bon enfant qu’elles tombent en morceaux.
« L’enveloppe trônait sur le stère de bois à l’entrée. Elle attrapa la missive sur le tas de bûches, tout à coup réveillée par ce tableau d’évidences de bois vêtu ».
Les adjectifs se heurtent, les adverbes oublient de préciser quoi que ce soit. Les mots prennent un sens très personnel. Des « prés d’oliviers », vraiment ? La gestion de la narration n’arrange rien : les semaines passent simplement parce que l’auteure, à un détour de page nous l’écrit en toutes lettres (ma lecture m’avait laissé penser à quelques jours, peut-être DEUX semaines). Plus tard, vers LA résolution, un personnage secondaire parle de MOIS passés à… On peut aussi souligner l’impayable description (je vais essayer de ne pas transformer cela en spoiler) de l’exploration d’UNE pièce dans le noir le plus complet, qui laisse échapper un objet central d’une taille plus que conséquente.
Ou encore cette phrase qui m’a fait revenir en arrière, à la recherche d’un pourquoi que je n’ai jamais trouvé.
« Par bonheur, grâce à cette épopée, le survivaliste passionné n’aurait plus jamais la possibilité d’obtenir un permis de chasse, ni peut-être celle d’avoir une relation, quelle qu’elle soit, avec une femme, la flic l’espérait ».
Ou encore : « le type rentra dans la pièce et se rua sur elle, les deux mains autour de son cou ».
Ou encore : « le visage parcouru par cette mimique entre deux eaux ».
Un point positif ? Sans doute. Laffont pourrait vendre la chose à TF1, qui ne peut ensuite QUE l’améliorer.
P.S. Ne croyez pas que je ne dise que du mal. J’ai beaucoup aimé Nord Sentinelle de Ferrari.
Alain Faurieux
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