Coups de griffes N°10 (par Alain Faurieux)
Un Papa vivant, Alice Taglioni, Robert Laffont, novembre 2023, 270 pages, 18,90 €
La couverture est une bonne représentation du contenu. Un style un peu cartes de l’UNICEF, simple et épuré. Très joli. Avec de beaux sentiments. Et un enfant. Et des bons sentiments. Et un chien. Je ne connaissais pas l’actrice, ou je l’avais oubliée sitôt entr’aperçue. Cela va sans doute être la même chose avec l’auteure. Petit livre inspiré en grande partie par sa vraie vie – ou quelque chose comme ça – nous dit l’éditeur. Dommage, ça va donner mauvaise conscience de dire à quel point c’est pitoyable. Sujet mièvre : après six ans de veuvage la pianiste/lectrice/bonne fille et bientôt quadra retrouve l’amour. Une poignée de personnages (dont le fantôme du papa mort) échangent des répliques qui semblent provenir de Sète et du Spoon (référence pour les Happy Few).
L’écriture est absolument quelconque mais les mots anodins arrivent malgré tout à avoir l’air de ne pas exactement s’accorder les uns les autres. Un peu comme les sous-verres au crochet d’une vieille tante, sans être hideux, ne convainquent pas vraiment. L’enfant (appelons-le comme ça) a une personnalité digne d’une campagne gouvernementale anti-harcèlement scolaire. La mère (de sa mère), la mère (celle qui boit des bières brunes à la bouteille), l’amie, la vieille dame qui va bientôt mourir… toutes sont d’une épaisseur de rideau de cuisine. Le nouveau futur amour est moins attractif que l’ex-amant et le papa mort… est mort. Comme dans la cour de récré : « t’es mort ! ». Un paragraphe m’a réveillé, étant donné le peu de substance et l’arrivée subreptice du futur nouvel amour j’ai cru que LUI AUSSI allait être un fantôme. Ce qui aurait boosté la chose. En bref, un papa vivant, on s’en balance.
La Route des mortes, Franck Linol, Joël Nivard, La Geste, 2020, 360 pages, 13,90 €
Il y a des romans de gare. Il y a des gares désaffectées, il y a des michelines qui rouillent et des rails qui ne vont nulle part. Et il y a des polars qui ne disent rien. Deux personnages de deux auteurs régionaux (comme lorsque l’on dit « ça restera entre nous » ou « ça n’ira pas plus loin ») sont réunis dans un même volume. Il y a eu deux autres volumes ensuite, dont l’un après le décès de Joël Nivard. Direction le Plateau de Millevaches. En partant de Limoges. Eymoutiers, Nedde, Masléon, la grande tempête de ´99, Bourganeuf et ses CAP pour turcs, restaurants et bars, bibine et tête de veau, Le Populaire et FR3. Courts exposés bonne-conscience (Tarnac ou les fabricants de pellets), sexe essoufflé et enquête ramollo (ou l’inverse). Les deux ou trois absurdités physiologiques ne parviennent pas à améliorer des dialogues prémâchés et une intrigue née autour d’un pot-au-feu. Je ne dirai pas plus de mal d’un polar (d’une histoire de deux policiers) qui parvient à citer Serge Vacher. Style ? Entre Télé 7 Jours et une brochure syndicat d’initiative. Public ? Tous ceux qui se contenteront de savoir que Le Bacchus bar à vin peut mettre au moins une table en terrasse, que Le 1900 a un patron et au moins une serveuse, ou que Le palais de justice a au moins un couloir. Que sur le plateau poussent des Douglas (beaucoup, beaucoup) et que de gros camions emmènent les grumes (cf. couverture). Que quand il pleut ça mouille et que les Golf ça va vite.
Les Sept Sœurs, T.1 Maia, T.2 La Sœur de la tempête (Vol. 2 des Sept Sœurs), Lucinda Riley, éd. Charleston-Le Livre de Poche, 2020, 9,90€
Début d’une saga/pandémie commencée en 2014. Six sœurs partageant le même MPA (père adoptif milliardaire) se retrouvent sous le choc de la disparition du mystérieux octogénaire. Parce qu’il était mystérieux en plus. Mais Pa leur laisse des indices pour découvrir leurs origines. La première des sœurs, trentenaire, part à la recherche de ses racines, guidée par des coordonnées géographiques interprétables grâce au gentil Google Earth (qu’elle était incapable d’utiliser seule). Heureusement elle est traductrice suisse-portugais. S’ensuivent favelas, maisons de maître, Ipanema et lettres cachées/perdues/retrouvées. Et histoires d’amour.
– « Et vous ne lui avez pas dit que vous étiez enceinte ?
– Je ne m’en suis pas aperçue avant mon retour à la maison. Marina, elle, l’a vu du premier coup d’œil et m’a envoyée chez le médecin. Mais la grossesse était déjà trop avancée… J’étais naïve, stupide (…) J’étais étudiante à la Sorbonne, en voie de décrocher un diplôme de haut niveau. (…) ».
« J’ai songé aussi à mon saisissement de la veille devant les enfants de la favela, qui “dansaient pour leur vie”, comme avait dit Ramon, et j’ai compris que j’avais peut-être ressenti un lien profond avec eux. J’étais presque sûre maintenant que, moi aussi, j’étais née dans une favela ».
Je n’ai pas pu résister : 2015, deuxième volume d’un phénomène éditorial mondial. Quand la recette marche, pourquoi changer ? Sœur n°2 va suivre les pas de sœur N°1. Un peu trop puisque les cinquante premières pages (et plus) sont une resucée du premier volume. Bon, tant pis, continuons. La construction est la même : choc de la mort de Pa, départ vers les origines, et en chemin vers une magnifique nouvelle famille supplémentaire insertion d’une, puis deux histoires (XIXème et XXème) fort touchantes. Même si les récits proviennent de sources différentes (vieux livre, journal intime, lettres, témoignage…), le style est toujours semblable. Tant pis. Que dire de sœur N°2, sinon qu’elle illustre parfaitement la conception de la vie par Lucinda Riley. Les Brésiliennes sont très mates et supportent bien la chaleur (Vol 1), sœur N°2 (blonde à taches de rousseur) se sentira très bien à Oslo, et mieux encore : ses gènes font d’elle une musicienne. Aussi simpliste que sa sœur, elle aussi a du mal à comprendre comment on fait les bébés et se révèle fort surprise de voir son ventre s’arrondir. Elle aussi a des problèmes d’argent, même si elle prend la meilleure suite d’un des meilleurs hôtels d’Oslo. Mon passage préféré est le suivant (rappelons-nous, adoptées par un milliardaire, les sœurs ont entre 25 et trente ans et s’appellent Aplièse) :
« Je sentais la chaleur me monter aux joues tandis que j’interrogeais ma mémoire. Avais-je déjà entendu quelqu’un appeler Pa Salt “M. d’Aplièse” ? Notre personnel de maison et celui du Titan parlaient de lui en disant “Monsieur”, à part Marina qui l’appelait “Pa Salt”, comme nous, ou bien “votre père”. J’essayai de me rappeler si j’avais déjà vu un nom de famille inscrit sur son courrier, mais je ne me souvenais que d’enveloppes et de colis d’apparence officielle, adressés à l’une des nombreuses entreprises de Pa ».
Pas mal, non ? Le style m’a rappelé Femmes d’Aujourd’hui dans les années soixante (je sais, avant même mes dix ans je lisais tout ce qui me tombait sous la main), magazine qui proposait de grosses nouvelles ou des « romans à suivre ». Pas de mots difficiles, pas de provocation politique/raciale/ou quoi que ce soit du genre (pas de genre donc : nous n’aurons sans doute pas droit en septième volume à une sœur trans). Ni style ni personnalité : 15 millions de lecteurs dit l’éditeur. Ni kitsch, ni énervant, juste terriblement vide.
La Dernière allumette, Marie Vareille, éditions Charleston, mars 2024, 336 pages, 20,90 €
Enfin un vrai nanar ! Un nanar sympa, évoquant (non, utilisant) un grand problème du moment : la maltraitance familiale. Pourquoi sympa ? Parce que Marie Vareille n’aura jamais de prix de la rentrée littéraire, ou un Nobel, et ne donnera pas d’interviews sur les transfuges de classe ou sa haine de papa/maman. Parce qu’elle ne nous donne pas de grandes leçons, parce qu’elle ne toise ou ne méprise personne. Parce qu’elle ne règle aucun compte. Pourquoi nanar ? Parce que c’est écrit à la tondeuse à gazon, ça tourne, spirale, racle et fait du marche avant/marche arrière ; parce qu’on y trouve de tout, un vrai caddie de chez Noz un jour faste. On reconnaît dans la narration les petites fiches bien construites, la construction réfléchie (une grille peut-être ?), les surprises soigneusement amenées. A nous les clubs de lecture ! Les ateliers d’écriture ! Narration partagée entre petite fille (un « avant » en italiques – daté – et un « maintenant ») et psychiatre. Avec un twist, il faut toujours un twist. Les personnages amènent chacun son propre réservoir d’informations (les fiches, les fiches) ; et les blocs temporels s’approchent peu à peu de la résolution finale par un emboîtement précis. Bon, d’accord, aller de 91 à 95 c’est pas si compliqué, mais l’animatrice de l’atelier l’a bien dit : il faut rester simple. Et puis on met un deuxième twist. Qui ne porte PAS sur le même objet ! Trop fort ! Et on introduit (gentiment) un peu de fantastique urbain ou enfantin, ou… enfin bref, du gentil. Un colibri par exemple. Et une goutte de noirceur. Faudrait pas oublier le sujet. On mettra d’ailleurs en fin d’ouvrage un numéro à contacter en cas de besoin. Et des remerciements. Le style ? Va du très mauvais (les premières pages des cahiers de la petite fille au gros cui, qui se plantent totalement) au quelconque (la plupart du temps), en passant par le nunuche (l’amouuur) et le mal maîtrisé (les scènes plus rapides/la révélation finale). Pour conclure, si vous aimez les lithographies de petits poulbots vendues en bas de Montmartre, c’est un bon bouquin. Je l’ai lu à cause du bandeau « L’auteur au million de lecteurs », bien sûr.
Alain Faurieux
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