Cosmoz, Claro
Cosmoz, 2011, 490 p.
Ecrivain(s): Claro Edition: Actes SudCosmoz débute comme une biographie de Franck L. Baum, l’auteur du Magicien d’Oz. Publié en 1900, le livre connaîtra à nouveau le succès 39 ans plus tard grâce à son adaptation ciné par Victor Fleming, avec Judy Garland et la fameuse chanson Over the rainbow. Selon la bibliothèque du Congrès américain, le film serait celui qui a été le plus vu au monde.
A huit ans, Baum est atteint d’une tumeur à la langue qui lui fait faire des cauchemars au cours desquels lui apparaissent certains des personnages qui nourriront plus tard son œuvre : il y a la jeune Dorothy et son chien Toto, mais aussi l’épouvantail, le bonhomme en fer-blanc, un lion poltron, ainsi que la sorcière de l’Ouest et quelques Munchkins.
Cette biographie prend rapidement ses aises avec la réalité si bien qu’on en vient à soupçonner qu’elle n’est pas vraiment ce qu’elle prétend être. Ainsi, quand le médecin perce la tumeur du futur auteur, une brume envahit la pièce et voilà sa secrétaire tout excitée et qui se rue sur lui pour lui faire l’amour.
Plus tard, la tumeur apparaît à Baum ornée de facettes, elle prend l’allure d’une lanterne magique, puis de lèvres qui se mettent tout à coup à pousser la chansonnette. Et c’est Somewhere over the rainbow qui jaillit.
Cosmoz n’est pas qu’une biographie de la genèse de l’une des œuvres les plus marquantes du XXe siècle. Publié en septembre 1900, Le Magicien d’Oz est donc né avec le siècle et va servir de base à Claro, de prétexte, pour examiner ce siècle de tous les excès, ce siècle fou, entre champignon atomique, camps de concentration, « freaks » de Tod Browning, cirques et asiles.
Très vite, Baum s’efface pour laisser place aux personnages qu’il a créés. Ceux-ci investissent la réalité. Enfin, ce ne sont pas tout à fait les personnages de papier qui prennent chair et sang : il s’agit de personnes dont la vie se rapproche de manière étrange des personnages du Magicien d’Oz.
Version Claro, Dorothy devient ainsi une jeune infirmière un peu naïve. Elle fait alliance avec deux mutilés de la guerre de 14-18 : Nick Chopper, revêtu de cuirasses de métal en guise de prothèses et Oscar Crow, un homme sans mémoire. Il y a aussi Elfeba, une aviatrice qui rêve d’écrire dans le ciel et Avram et Eizik deux nains recherchés par le FBI pour activités anti-américaines.
Claro leur trouve à chacun des caractéristiques qui leur permettent de s’apparenter aux personnages surnaturels et fantastiques de Baum. La magie et le côté irréel du Magicien d’Oz sont chassés pour une version réaliste, ancrée dans le réel.
De l’Europe de l’avant-guerre aux Etats-Unis, en passant par Vienne et Ypres, par le Nouveau-Mexique et Los Alamos au moment de la mise au point de la bombe atomique, mais aussi par Auschwitz ou des plateaux de cinéma ou des asiles, ils n’auront de cesse de guetter des signes de cet Oz mythique qui les a vus naître. Mais qu’est-ce qu’Oz ? Un lieu utopique ? Un parc d’attractions ? Un camp retranché ? Un fou épris d’épuration ?
Leur épopée est enlevée et mouvementée, servie par l’écriture, vive, fluide et brillante de Claro. Les voix alternent, la narration alterne entre la première, la deuxième ou la troisième personne ou prend des airs de journal intime. Le conte est burlesque, vire parfois au tragique.
Dans Cosmoz, les personnages ont pris le pouvoir. Libérés de leur créateur, ils deviennent plus importants que lui, à l’image de la créature de Frankenstein qui a subtilisé son nom à l’homme qui l’a inventé.
Claro pose la question de la destinée. Echappés du livre, les personnages vivent dans un monde où Oz existe. Ils ont bien conscience de présenter un certain nombre de points communs avec ceux inventés par Franck L. Baum. En même temps, le monde d’Oz contamine leurs existences. Ils sont ballotés entre fiction et réalité. Ils ont l’impression d’être des émanations de ce monde mythique et en même temps, ils sont surpris que personne ne les reconnaisse jamais en les croisant. D’ailleurs, ce ne sont même pas eux qui vont interpréter leur propre rôle dans la version ciné du livre signé Victor Fleming alors qu’ils sont sur le plateau. Ne présentaient-ils pas pourtant le profil idéal ?
La fiction et la réalité s’emmêlent. La fiction enrichit la réalité et la réalité se nourrit de la fiction, d’autant plus quand elle devient irréelle. A Los Alamos, par exemple, des scientifiques mettent au point une arme qui va changer le cours de l’humanité : la bombe atomique. Et quels noms donneront-ils aux détecteurs de radioactivité ? Ceux de personnages d’Oz.
Yann Suty
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