Correspondances et entretiens avec « Attoun et Attounette », Jean-Luc Lagarce
Correspondances et entretiens avec « Attoun et Attounette », adaptation François Berreur, octobre 2013, 85 pages, 10 €
Ecrivain(s): Jean-Luc Lagarce Edition: Les solitaires intempestifsL’amour du théâtre
Le petit ouvrage que publient les éditions Les Solitaires Intempestifs est en quelque sorte un livre de mémoire comme l’on dit un lieu de mémoire puisque la maison d’édition de Besançon est historiquement liée à ses deux cofondateurs en 1992, Lagarce et François Berreur qui, ici, comme pour Ebauche d’un portrait en 2011, adapte les textes de son ami et propose ensuite des mises en espace (en Avignon ou au Théâtre ouvert) de ces deux œuvres de l’intimité. Intimité de la vie personnelle et surtout pour les correspondances et entretiens, intimité de l’écriture et de l’œuvre. Qui d’ailleurs mieux que François Berreur pourrait reprendre, couper, élire tel ou tel passage, lui qui travailla aux côtés de Lagarce pendant quinze ans et qui vit l’œuvre de ce dernier se constituer depuis leur jeunesse ? Le livre est construit pour accueillir ceux qui ont accompagné Lagarce de 1976 à sa mort en 1995 (la dernière lettre de Micheline Attoun date du 22 juin, trois mois avant la disparition de celui qu’elle nommait alors « cher Jean-Luc » (p.84).
Il y a donc d’abord et surtout Micheline et Lucien Attoun avec lesquels il va échanger de nombreux courriers, et c’est d’ailleurs avec une lettre de juin 1976, à l’âge de dix-neuf ans, adressée à Monsieur (Attoun), que Lagarce depuis son village franc-comtois de Valentigney va envoyer à Paris le texte de sa pièce Les Vacances. Lucien Attoun lui répondra avec retard mais il considèrera déjà que ce tout jeune homme trouverait sa propre écriture : Je ne doute pas que, de pièce en pièce, vous trouviez un ton qui vous soit plus intimement personnel (p.12).
Entre 1976 et 1989 (premier chapitre établi par F. Berreur), il s’agit des commencements de l’œuvre. Le ton des lettres est plein de respect (Monsieur/Cher Monsieur). Lucien Attoun peut ouvrir des portes à Lagarce, celles de la radio, et notamment les ondes de France Culture où il officie, afin que les textes du jeune auteur soient diffusés et trouvent un auditoire important. Lagarce d’ailleurs expose sans détours les questions d’argent à propos de la société des Auteurs et Compositeurs dramatiques (p.19). Micheline Attoun parfois prend la relève et témoigne elle aussi de son intérêt pour les pièces de Lagarce. De son côté, Lagarce parle de ses mises en scène personnelles. Bref, tous disent leur amour pour le théâtre, et peu à peu la teneur des lettres laisse place à l’amitié. Micheline dit Cher Jean-Luc(lettre du 2 juillet 1983) et Lucien Attoun fait de même quelques mois plus tard. Le Théâtre Ouvert va lui permettre par l’intermédiaire de ceux qu’il appelle « les vrais défenseurs du théâtre » de voir ses pièces montées. Le provincial découvre les arcanes du milieu, les jeux d’influence comme il l’explique à son ami Dominique avec humour, ironie aussi (3 janvier 1984). Les Attoun sont les lecteurs, les veilleurs. Ils veillent sur cette œuvre en devenir. Lagarce reprend à plusieurs reprises ce mot ; il s’en moque mais en même temps lui accorde toute l’importance qu’il mérite.
Le texte nous dit également les moments d’écriture, de lecture, de Lagarce, le départ de Besançon (1988), la chasse aux bourses et autres soutiens officiels, jusqu’au départ pour Berlin et les désillusions autour desquelles s’élabore le deuxième chapitre qui couvre les années 1990-1992. Cette partie commence sur un ton sarcastique dans des lettres adressées à Dominique, l’ami. Du « pays lointain ». Les relations se crispent quelque peu avec les Attoun : ils se croisent sans se rencontrer à Berlin. Des reproches se font jour surtout en direction de Lagarce.
Vous avez beau faire le lointain (20 juin 1990)
Personnellement, j’aurais préféré que vous nous écoutiez (2 mai 1991)
Lagarce et les Attoun suivent leur chemin respectif : le premier est pris par son travail d’auteur et de metteur en scène, et le couple, lui, poursuit son engagement au Théâtre Ouvert entre autres. Le dernier chapitre consacré aux années 1993 et 94 est empreint d’émotion comme si tout devait « s’apaiser ». Les lettres sont plus longues. Lagarce se cite, fait un bilan de sa vie et parle de ses quarante ans en 1997… (lettre du 10 décembre 1994). La mélancolie gagne comme les pièces en projet : J’étais dans ma maison et j’attendais que la pluie vienne, et Le Pays lointain.
François Berreur ajoute à ces morceaux de lettres des extraits d’une émission de France Culture,Mégaphonie (5 septembre 1995). Il s’agit d’un entretien entre Lagarce et Lucien Attoun, avec la participation de la comédienne Christiana Cohendy. Ces quelques pages font à la fois écho au passage dans lequel F. Berreur insère au milieu de la correspondance un extrait d’une émission de France Culture, Les arts du spectacle, de 1983, autour d’Eugène Ionesco et de Lagarce (p.18-20) et font écho de plus au contenu des lettres, au parcours de Lagarce : ses origines sociales, la place que tient son journal, le choix de l’écriture dramatique pour dire la parole humaine ou bien encore sa maladie, le sida, et son homosexualité selon laquelle il ne saurait se définir et ce à travers le prisme de citations de Cioran.
François Berreur revient toutefois une dernière fois à une lettre de Micheline, évoquant justement l’entretien, et de conclure par une citation du journal au seuil de la mort : s’enfuir sans laisser d’adresse…
Ce texte a fait l’objet d’une mise en espace en octobre 2013, au théâtre Ouvert à Paris avec Laurent Poitrenaux, les voix de Lucien et Micheline Attoun, et la participation de Mireille Herbstmeyer.
Marie du Crest
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