Correspondance 1981-2017, Pierre Bergounioux, Jean-Paul Michel (par Philippe Leuckx)
Correspondance 1981-2017, Pierre Bergounioux, Jean-Paul Michel, 224 pages, 17 €
Edition: Verdier
D’aucune manière tu ne dois douter de ceci : nos livres nous auront gardés ce que nous sommes, dans les pires incertitudes du temps, si inconfortables qu’il ait pu nous être donné de le connaître. Au moins n’aurons-nous jamais écrit rien que de nécessaire, chacun de notre côté, et quasi depuis l’enfance, « montant sur toute chose comme sur un cheval ».
Ce que dit là Jean-Paul à son correspondant et ami Pierre, ce 7 décembre 2007, rappelle bien sûr cette amitié de longue date, née et nourrie d’enfance, entre deux Corréziens, devenus écrivains, l’un et l’autre, et chacun avec une œuvre copieuse. Pour eux qui ont connu « l’ivresse sans vin de la jeunesse » (p.27), leurs « 16 ans », le temps est une matière qui lie, resserre les âmes, les esprits, alimente la ressource de vie. À chaque publication, les deux amis se donnent rendez-vous épistolaire, commentent le livre, décortiquent les enjeux fixés.
De Gif, en région parisienne où le professeur des Beaux-Arts, romancier, réside, Pierre envoie ses missives à l’ami de Bordeaux. Les échanges, nourris de littérature, de philosophie, de poésie, autour du grand Descartes – dès Limoges, en 1966 –, de la prose maghrébine (Choukri, Chraïbi, convoqués pour leurs grands livres), des voyages de l’un (à Berlin), de l’autre, ouvrent de larges perspectives sur l’abord de la littérature par deux de ses représentants contemporains, aiguisés tous deux à la tâche de dire au plus juste le senti et le ressenti, puisque les Carnet de notes, de Bergounioux, qu’il tient depuis 1980, donnent du grain à moudre à Jean-Paul Michel, qui les suit de très près.
De longueurs très variables, les lettres (devenues au fil du temps technologique courriels) sont tantôt de longs essais de pensée pure (cf. pp.105-109) ou des billets brefs d’accusé de réception, de retour au pays corrézien, de mercis fraternels. Souvent, signes de partage, d’amitié, de complicité intellectuelle, de pensée solidaire. Souvent aussi, le « hasard », que décrypte Michel, entre autres belles pages, a ordonné, si je puis dire, les rencontres, les retrouvailles, les points de raccords entre les deux hommes. Une fraternité de plume et une grande tendresse (« je te serre sur mon gros blouson d’hiver ») font le reste.
Quelques photos en noir et blanc replongent le lecteur dans ces années où les deux futurs écrivains se sont connus : clichés de Brive et d’ailleurs ; photographies plus récentes autour des tables d’entretiens et d’écriture, entre pairs.
Jean-Paul Michel qui s’est « voué à la poésie », ce savoir dont le soubassement est tissé de « non-savoir », et Bergounioux, surtout requis par la prose autobiographique et le roman, se complètent par l’ardente volonté de se tenir au plus près, au plus juste, au plus nu de la langue exacte, celle qui dicte aussi bien les raisonnements que les effusions, dans un souci constant de la belle langue.
Philippe Leuckx
Pierre Bergounioux, né en 1949, est l’auteur de près de quatre-vingts volumes, dont plusieurs Carnet de notes (2006-2016), des romans (L’orphelin…).
Jean-Paul Michel, né en 1948, auteur de livres de poèmes, d’études, éditeur.
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