Corps habitable, Michel Bourçon (par Philippe Leuckx)
Corps habitable, Michel Bourçon, Sinope Editions, octobre 2022, 104 pages, 7 €
Michel Bourçon vient de publier son 41ème recueil de poèmes. En tant que lecteur admiratif de sa poésie, c’est mon quatorzième livre de Bourçon.
« immobile derrière les vitres
on guette le mot
qui en amènerait d’autres
dans ce présent hanté par les souvenirs
avec ce peu de lumière
caressant le peu qui demeure
au cœur de ce moment où tout se fond
parmi le neutre »
(…) (p.43)
Poèmes du doute, des instants ressentis dans la gêne, le malaise, l’infortune. Mots terribles de l’attente, de la perte, de flottement de l’être, d’effroi. Le poète avance à tâtons, décline son ignorance, ses doutes, « encombré » de ce réel qui le plombe. L’être en quête – du réconfort à l’absence, au manque de visages – sans complaisance détisse ses propres gestes, ses propres manques, sensible « aux cendres des mots », dans le refuge d’une solitude sans nom, qui s’impose, « où l’on se terre ».
Admirable plongée dans l’intériorité troublée d’une conscience aiguisée et qui, face à la nature, et à l’aune des nuits, des jours, s’évide, se donne à lire, partageable et dense. Oui, le « corps s’habite », se traverse, mue, appelle, et fait signe aux « morts en nous (qui) remontent ». Le titre économe en dit long sur cette fréquentation de soi au plus profond, « corps planté là », « dans le cours lent du temps », dans « une vie plus grande que la nôtre ».
Je retrouve l’extrême talent d’une poésie en tension, nue, personnelle.
Le cri qui ne sort pas, la rétention des vides, la distance d’avec le monde, tout fait que cette poésie phénoménologique, pleine d’interrogations, suscite a contrario un éveil pour tout ce qui vit, même au sein des malaises, du mal-être. Le poète sait effleurer la blessure, la nommer, la transcender, par des mots, des images, quand « dire la douleur/ de naître rien » submerge l’être. Comme « l’étranger », le poète se décrit avec une finesse extrême, sensible aux moindres mouvements du corps et de l’esprit, comme s’il se voyait à une certaine distance de sa vie. Entre mutisme et appropriation psychologique, le poème sonde l’intime fusion de la conscience et de son approche.
On est happé par cette poésie « du peu » qui explore l’essentiel avec les mots de tous les jours, combinés en nuances infinies de sensations, de perceptions et de sentiments. C’est très beau, bien sûr. C’est très émouvant aussi de lire ce livre d’un ami qui se relate avec autant de doigté, de discrète science de soi.
En quatre-vingt-dix avancées, autant de prises sur soi, de soi, par des poèmes, très divers par leur longueur, dans une coulée homogène, de descriptions attentives du réel en soi, autour de soi, comme si le témoin, derrière la vitre, dans la rue, consignait son journal de vie, sensation après sensation, dans un effort sans effort, ne mettant en évidence que l’essence de ses parcours. On pourrait citer nombre de passages révélateurs d’une esthétique visant à restituer les modes et moments du réel intériorisé par la plume d’un écrivain hyperdoué, hypersensible, qui peut dire :
« finalement vivre
n’est peut-être que cela
être posé là comme une chose
parmi les autres
avec tout ce que l’on porte
et dont il ne restera rien
avec le petit feu de toutes les paroles
dans le temps
que malmène le vent » (p.59)
Philippe Leuckx
Michel Bourçon, né en 1963, est un poète français, auteur d’une quarantaine de volumes chez de nombreux éditeurs. Citons : Pratique de l’effacement ; Les rues pluvieuses n’iront pas au ciel ; Ce peu de soi ; Source des vents ; Vers cela qui n’est pas.
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