Conversations dans un jardin, Bernard Pignero (par Martine L. Petauton)
Conversations dans un jardin, Bernard Pignero, éditions Encretoile (Nouvelles), mai 2021
Celui d’entre nous qui un jour se lance dans l’écriture ne se dit-il pas – fulgurante idée généralement abandonnée dès que commence vraiment l’aventure – que, ma foi, des nouvelles – petites histoires, bonsaï des grandes – ce serait peut-être plus facile que le format roman, si classiquement casse-gueule…
Ainsi la nouvelle serait facile ? Ou tout son contraire ? Parce qu’elle parvient à faire tenir dans un dé à coudre ce qui fabrique la « grande » histoire, lieux, temps du récit, acteurs et leur complexe théâtre, l’infinie myriade des sentiments de la comédie humaine entière, les couleurs, odeurs et on en passe. Tout, dans cet infiniment petit, pour déclencher le miracle chez le lecteur se passionnant pour si peu de lignes agencées en des pages tenant dans le creux de la main ; petite main qui plus est. De l’anticipation, ou pas loin, frisant pour nous, profanes, presque le fantastique, l’univers des nanosciences…
Bernard Pignero n’est pas avec ce volume à son premier essai en territoire de nouvelles, mais il se pourrait qu’il signe là un des plus réussis de ses écrits, tous genres mélangés. On connaît son écriture, « longue en œil », recherchée jusque dans ses respirations, aboutie, minutieusement agencée. On a suivi, de livre en livre, la pensée riche et complexe, exigeante, de l’honnête homme qu’il est au sens ancien de la formule ; on a marché aux côtés du bonhomme se voulant un peu Proustien dans la profondeur de sa mélancolie, diaprée plus que vraiment sombre.
Tout Pignero se retrouve donc de façon naturelle, là, dans le corps de ses six nouvelles, et comme l’auteur est un complet et très sérieux mélomane, c’est à 3 courts textes alternant avec 3 plus longs qu’on est invité, comme à l’intérieur d’une même symphonie ; un bonheur de plus !
Est-ce l’âge « sage » de son auteur, la maturité sans doute, l’avancée sur le chemin, probablement, qui font la part belle à des questions, comme on dit en mode psy, essentielles, servant de fil rouge à l’ensemble : rien moins que l’amour, le projet de vie, l’homosexualité, son existence, sa possibilité. Le sens d’une vie, les choix, finalement ce qui court avec plus ou moins de réussite la littérature, et qui, là, accroche et sonne dans une modestie juste, un peu à la façon d’une partition musicale, travaillée à la mesure près, à laquelle, à l’écoute, il ne manquera rien.
Conversations, dit le titre, et non évidemment bavardages, encore moins badineries ou marivaudages, même si le siècle de Marivaux parfume discrètement le livre à l’instar de la photographie de la statue sur la couverture.
De la fort jolie histoire, entamant l’opus, située chez des moniteurs de colonie de vacances, scandée d’un violoncelle, nourrie des compétences d’un jeune féru en ornithologie qui ne fait pas qu’émouvoir les petits colons, jusqu’à la longue nouvelle qui ferme le livre, la trajectoire d’un pianiste doué mais dépressif, que l’air et le miel des Vosges sauveront, en guise de choix de vie, le déroulé des six scènes que sont les nouvelles se fait, naturel, architecturé, convaincant et sincère peut-on dire, résonnant en chacun. Les tonalités – l’image comme on dit d’un film – et la partition musicale changent : un Mozart à coup sûr pour la première nouvelle, assez peu primesautier toutefois, un Schubert, assurément, pour la dernière. La nouvelle qui donne son titre au livre, longue et agencée clairement comme le bonsaï de roman dont on a parlé en début, est la synthèse de l’ensemble ; la lire d’abord (c’est là, prérogative du genre-nouvelles, qui peut se moquer de l’ordre) c’est faire cueillette de tout le livre : lieu posé, précis et décrit, ici une maison de campagne familiale en Touraine, dont on respire le jardin et le feutré des voix le soir dans une réunion amicale de gens de belle éducation, agréablement fin de XVIIIème siècle, autour d’un couple gay qui vient de se constituer. Une femme, intéressante, attirante ; échanges, interrogations, questions, et au bout – c’est le cas dans plusieurs des nouvelles – quelque chose de sage qui ne bascule pas : « La nuit tombait, très douce, rose et bleue. Il ne restait plus qu’une dizaine de convives. On avait dressé une table sur la terrasse. Jean-Pierre vint nous demander si nous voulions les rejoindre. Je lui dis que j’allais rentrer à Paris ». On pense inévitablement au cinéma, à Sautet, quelquefois, et surtout à Eric Rohmer, à son ensemble de films, tous si particuliers, si réussis dans leur registre unique, qu’on adore ou qu’on déteste, qui fonctionnent un peu comme ces nouvelles de Pignero, mélangeant philosophie de bon aloi et quotidien festonné dans un univers estompé et assourdi, dix-huitième siècle en diable, jolis, prenants ou drapeaux du cinéma « ch---t » pour les allergiques ! C’est donc presque sans étonnement comme naturellement qu’on voit convoquée Ma nuit chez Maud, alors que ce film accompagnait dès la première page en petite note de fond le déroulé de notre lecture…
Très joli ! dira-t-on de ce recueil de nouvelles, comme quand on sortait d’un Rohmer ou d’un Sautet, avec cette satisfaction d’emporter un peu de bonheur avec nous, et de s’en souvenir des décennies après, avec la même émotion, un peu nostalgique ; cette image ! ce passage ! On ne peut que souhaiter le même devenir à Conversations dans un jardin !
Martine L Petauton
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