Contrepoints, Lucien Noullez (par Didier Ayres)
Contrepoints, Lucien Noullez, éd. Corlevour, mai 2023, 15 €
Souffle
Quand je dis souffle dans mon titre, il faut prendre ce mot à la lettre : la respiration humaine. De plus, le souffle de l’inspiration artistique est le souffle du poème, monde symbolique de la création. Donc expiration/inspiration dans la densité d’une écriture simple, presque naïve mais pleine de vitalité. Et si je peux filer la métaphore, je dirais souffle qui nécessite une excavation, là où l’inspiration fait poche. En fait, c’est comme aspirer et exhaler pour aller avec sagesse vers la mort, le dernier seuil. Un mouvement. Le besoin élémentaire de la vie, sans que l’on connaisse le travail de la respiration, qui, comme le cœur, est inconscient, non ressenti.
Je crois que le travail poétique revient à chercher dans le gouffre (l’inconscient du texte). Écrire de la poésie, c’est voir dans le gouffre, chercher dans le gouffre, aller vers le gouffre. Quoi de plus naturel dès lors que ce besoin de respirer, cette recherche pouvant se faire en apnée. Il suffit pour cela de se conformer au mouvement du souffle, à sa mécanique ondulatoire. Ici, au sein d’une écriture serrée, légèrement cursive, mais cultivée avec entrain, lucidité. Celle concernant la mort, essentiellement.
Si je respire, cela produit un peu de vie.
Si je cessais de respirer, je serais très bientôt
un trou de sable.
Mais je continue à faire un peu de bruit avec ma bouche.
Je ne saurai jamais rien de rien.
C’est dimanche.
L’on perçoit un léger tremblement du vivant, de ce qui reste à vivre (dates et fin inconnues). Ne reste que l’étrangeté. La mort désigne l’insurmontable, l’horizon étrange de quelque chose que l’on semble connaître et qui est paradoxalement ineffable. Le contrepoint de la vie dans son écho mortel. D’où l’isotope du souffle. Je veux dire l’influx de la vie, son infusion inaperçue.
[…]
Je vais quitter la vaste pièce,
l’immense pièce,
la pièce gigantesque au fatras infini.
Mais j’attends que le jour se lève,
et j’espère ne pas trouver l’interrupteur.
Le poème est donc adressé aux vivants. La phrase comme toute phrase poétique plane au-dessus du gouffre de la mort, parfois avec un peu d’ironie, presque de sarcasme, pour sans doute masquer l’angoisse. La vie ne nous appartient pas dans les faits. Nous vivons sans connaître que nous vivons. La vie appartient ainsi au secret. La mort encore plus. Et que faut-il ? une écriture simple, des mots simples, une prosodie à la fois carrée et fluide. Un poème près de sa source. Un poème maître de lui.
Il est quelle heure ?
Surtout ne dites rien.
Votre heure viendra,
mon heure aussi,
et nous n’apprendrons rien de cette heure,
surtout si c’est la grande heure vibrante de l’amour
ou de la joie
ou de la mort.
Mais maintenant, quelle heure est-il à peu près ?
Didier Ayres
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