Contes magiques de Haute-Kabylie, Salima Aït-Mohamed
Contes magiques de Haute-Kabylie, Salima Aït-Mohamed, Editions Franco-Berbères, novembre 2014, 154 pages, 19 €Contes magiques de Haute-Kabylie, Editions Franco-Berbères, novembre 2014, 154 pages, 19 €
Ecrivain(s): Salima Aït-MohamedDepuis les travaux de Greimas et son modèle actanciel fondé sur les recherches de Propp, et en dépit du fait que leur conclusion affirmant l’universalité des fonctions narratives du conte ont fait ces dernières années l’objet de sérieuses controverses, on est systématiquement tenté, à la lecture d’un conte extrait d’une littérature locale, orale ou écrite, d’en pratiquer une analyse comparée en le plaquant sur les schémas actanciels et narratifs qui nous sont culturellement familiers.
L’exercice est d’une facilité remarquable lorsqu’on l’applique à ces Contes magiques de Haute-Kabylie précieusement et heureusement recueillis par Salima Aït-Mohamed. Tout y est :
– situation initiale stable au sein d’une structure familiale tantôt royale, tantôt des plus humbles ;
– événement qui vient, rapidement après son exposition, brutalement bouleverser le tableau tranquille de la famille en question ;
– émergence, du sein de la famille, du héros ou de l’héroïne ;
– succession d’épreuves initiatiques que doit subir et surmonter avec succès le héros ou l’héroïne, ce qui constitue le corps narratif dynamique du conte ;
– retour, en situation finale, à un nouvel état stable, très différent de la séquence initiale pour les personnages principaux, porteur de la promesse d’une vie entière de bonheur et de sérénité.
Evidemment, au héros, ou à l’héroïne, sont octroyés tout au long du parcours d’épreuves les adjuvants successifs, attributs magiques ou personnages apportant leur aide, qui lui permettront de sortir victorieux / victorieuse de chacun des défis à relever, alors que, de façon parallèle, se succèdent les opposants qui tentent de le/la faire échouer. Ce héros, cette héroïne, sont, ici comme ailleurs, des personnages originellement pourvus de qualités et de talents d’exception.
Sa fille unique montrait une intelligence remarquable. Elle était également d’une grande beauté. Dans toute la province on louait ses qualités et on citait en exemple sa délicatesse, sa finesse et son savoir-faire…
Le lecteur français notera également au passage l’importance des nombres « magiques », le trois et le sept, qui lui sont culturellement familiers. Même si nombre d’éléments des décors et des gestes et objets sont naturellement spécifiquement berbères, les similitudes de ces histoires pour petits et grands avec les contes célèbres de la tradition orale européenne recueillis en leur temps par Grimm et Perrault sont souvent frappantes. On retrouvera par exemple dans ces contes de Haute-Kabylie des détails narratifs identiques à ceux du Petit Poucet (qui ici est un personnage féminin).
Chose remarquable dans ces contes kabyles traditionnels, et qui diffère quelque peu des « versions » européennes du conte oral : la femme joue souvent un rôle de premier plan et ne se contente pas d’attendre que vienne la « délivrer » le prince charmant. Chose remarquable, certes, mais peu étonnante pour qui connaît la place éminente que tient la femme, contrairement aux clichés véhiculés en Europe, dans les cultures amazighes d’Afrique du Nord, sous la forme d’un statut déterminant dans la cellule familiale, que l’islamisation dans maintes régions n’a guère entamé. C’est d’ailleurs à un acte de résistance contre l’assimilation arabo-musulmane, contre les tentatives de dictature islamique, en particulier celles des années sombres qu’a connues récemment l’Algérie, et à une opération militante de défense de sa culture kabyle que se livre ici Salima Aït-Mohamed, objectif clairement affirmé dans son introduction :
Quant à l’amour que je porte à la Kabylie, indescriptible et incommensurable, c’est de mes entrailles, de ma mémoire et de mon être qu’il sourd et s’échappe. C’est un amour viscéral qui s’est réveillé brusquement […] quand Alger s’est transformée en un effroyable cimetière que peuplent les veuves et les orphelins…
C’est peut-être dans ce pouvoir de résistance que ces contes de Haute-Kabylie peuvent être, comme l’indique le titre du recueil, « magiques »…
Le lecteur ne peut pas ne pas y être sensible.
Patryck Froissart
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