Confusion, Neil Jordan
Confusion (Mistaken). Trad. de l’anglais (Irlande) par Florence Lévy-Paoloni. 352 p. 22 €
Ecrivain(s): Neil Jordan Edition: Joelle Losfeld
Troublant. Jusqu’à l’extrême puisque le trouble porte sur l’identité même des (deux ?) personnages centraux du livre. Qui est qui dans le duo ? Le narrateur est-il le narrateur ou celui pour qui on ne cesse de le prendre tout au long de l’histoire. Kevin ou Harry ?
Dans une construction qui constitue une toile serrée de lieux, Neil Jordan nous emmène dans le dédale de ses obsessions. Les énigmes de l’amour, du sexe, de la filiation, des peurs de l’enfance. Avec, bien sûr, les figures inévitables de son univers, Bram Stoker, Dracula, les vampires, purement imaginaires ici. Bien sûr, il s’agit du premier roman du réalisateur de « Entretien avec un vampire ». Toute l’œuvre cinématographique de Jordan est hantée par les contes pour enfants sur leur versant noir, terrifiant. « La compagnie des loups » était déjà une version fantastique du « Petit Chaperon Rouge » qui croise le thème du Loup-Garou.
On retrouve ici les terreurs nées de l’enfance, les figures finalement mystérieuses et angoissantes de la mère, du père. On retrouve aussi l’instant terrible de l’étrange familiarité freudienne, celui où le double vient brutalement à la rencontre de soi. Enfin ce qu’on croit être le double. Edgar Poe plane dans ces pages avec Freud et Stoker.
« - J’ai lu une histoire. Edgar Allan Poe. L’histoire d’un étudiant rendu fou par son double.
- Il faut que je la lise.
- Tu vas me rendre fou ?
- Je n’en ai pas l’intention. Et je ne suis pas ton double
- Tu appellerais ça comment ?
- Il y a juste ce truc. On nous confond. Tu mènes une vie que j’aurais pu avoir.
- Tu veux qu’on échange ? »
L’écriture de Jordan est minutieuse, exacte, et développe une musique doucement envoûtante. Sans haut, sans bas. Une mélopée un peu narcotique et prenante sur les chemins de ces rencontres au hasard entre l’un et l’autre. Rencontres ponctuées par le « tu », celui que le narrateur attribue à la jeune fille qui aime, qu’il aime. Qui ?
L’histoire commence au cimetière à l’occasion des funérailles de « l’un ». Elle finit au même endroit en la même circonstance. Avec l’effroyable trouble que la narration a installé dans l’âme du narrateur, de l’écrivain, du lecteur aussi sûrement.
« L’un de nous est mort, Emily. Je ne saurai jamais avec certitude lequel. Je reste ici mais certains jours j’ai l’impression que c’est la mort et je me dis que c’est moi qui suis mort. D’autres jours j’ai l’impression que c’est la vie et je me dis que c’est lui. (…) Parfois l’après-midi passe, je regarde deux pages tapées à la machine et je m’interroge : de qui était-ce la vie ? »
Etrange et troublante variation sur le souvenir et l’identité des êtres.
Leon-Marc Levy
NB : Vous verrez souvent apparaître une cotation de Valeur Littéraire des livres critiqués. Il ne s’agit en aucun cas d’une notation de qualité ou d’intérêt du livre mais de l’évaluation de sa position au regard de l’histoire de la littérature.
Cette cotation est attribuée par le rédacteur / la rédactrice de la critique ou par le comité de rédaction.
Notre cotation :
VL1 : faible Valeur Littéraire
VL2 : modeste VL
VL3 : assez haute VL
VL4 : haute VL
VL5 : très haute VL
VL6 : Classiques éternels (anciens ou actuels)
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