Confrontations, François Amanecer (par Yasmina Mahdi)
Confrontations, François Amanecer, éditions de Corlevour, Revue NUNC, mai 2022, 192 pages, 19 €
Profession de foi
Dans le dernier livre de François Amanecer, Confrontations – dédié à Jean-Pierre Jossua, écrivain et théologien dominicain français (1930-2021) –, déclare que, concernant Le Poète, « sa très haute fonction est d’aboucher l’homme au cosmos », étant « passeur entre les mondes ». L’ouvrage soulève la question de la création – un phénomène, un « en-soi » ou un dédoublement, ou bien une schize, une coupure. François Amanecer analyse la partie sombre ou lumineuse de la psyché de différents auteur.e.s et le fait de « se confronter à la déité ». Il articule sa réflexion entre deux axes : « athéisme et foi », et spécifiquement sur « la plausibilité d’une intervention divine » et ce, à travers les professions de foi littéraires, visuelles et spirituelles de seize figures – dont seulement trois femmes, mais non des moindres…
En premier lieu, l’essayiste indique que le philosophe Søren Kierkegaard, chez qui le désespoir et l’angoisse demeurent essentiels pour l’existant qui doit les assumer dans leur double dimension, jette les bases en poète d’une vie rêvée mêlée à la vie réelle, d’une vie idéale conjointe à l’objectivité matérielle de l’être. En ce qui concerne Sylvia Plath (1932-1963), l’immense poétesse et écrivaine américaine, a osé regarder et fixer la face qui tue, l’infame apparition de Méduse, monstre de l’enfer mortel – une force autonome archaïque (la tête de la Gorgone était peinte sur les boucliers). Il y a donc confrontation entre les affres de la tentation morbide du suicide et celle de tendre à la perfection grâce à des mots choisis propres à la poétesse qui a outrepassé l’interdit de l’autodestruction. En effet, Sylvia Plath s’est aveuglée en défiant la mort et subséquemment a rencontré l’irreprésentable, son énigmatique écriture en témoigne.
F. Amanecer revient sur ce qui hante les créateurs, que nous venons de citer, soit en dehors de révélations religieuses soit en se pliant au théisme, à l’affirmation d’un dieu unique et transcendant, deux assertions parfois contradictoires. Ainsi, les poètes se confrontent à des paradoxes douloureux entre confiance et désespoir, raison et folie, foi et doute, crainte et espoir. [Notons au passage que F. Amanecer a traduit E. Dickinson et S. Plath]. Henri Michaux (1899-1984) pratique « un animisme moderne », une « mise en scène de la dévoration » et semble fasciné par la métamorphose en insecte (différente de celle de Franz Kafka et de Clarice Lispector). « L’anthropophagie » dérive d’une psychose familiale chez Michaux comme chez Plath, néanmoins de façon distincte, peut-être en relation avec l’état psychologique de ces écrivain.e.s : l’auto-dévoration des membres d’une même famille. Chez Michaux, « la prière même, et le sacré, ont une fonction organique, exactement comme la faim » tandis que chez Plath, personne ne trouve « grâce à ses yeux », hormis « ses deux enfants (et les ballons et les fleurs) » ; la poétesse tente d’exorciser l’horreur du monde en l’affrontant directement.
Le peintre allemand Gerhard Richter (1932-2006), lui, passe de la représentation illusionniste à sa néantisation : l’abstraction, par un « mécanisme mis en branle – chance, choix arbitraire, inspiration, destruction (…) poursuivi jusqu’à faire parvenir à une image non prédéterminée (…) ». Chez Richter, les symboles d’une terrible violence sont représentés et ensuite floutés. D’autres œuvres sont peintes comme des chromos heureux ou célébrant la beauté. Néanmoins, « il y a chez Richter une tentation démiurgique ». Par ailleurs la foi en dieu (qui ne se réduit pas à une simple croyance naïve mais qui est un engagement lucide) est une thématique qui sous-tend aussi la poésie d’Eugenio de Signoribus (né en 1947) et les récits des camps d’Etty Hillesum (1914-1943), femme libre et mystique, dont Catherine Chalier affirme qu’il est douteux d’en faire une chrétienne.
François Amanecer relève des occurrences de la « figure de la répétition » ; or, « est poète celui qui met sa substance dans les mots mêmes. (…) Les mots viennent ainsi au poète par une « propension » dont la nature est double ». Ainsi, ce qui constitue la force de cet essai, c’est la thèse sur « ce qui fait (ou peut faire) la substance d’une poétique » à travers la fréquence du double, du reflet ou de l’introspection, au sein d’un monde contemporain happé par « le dégradant ou le dégradé (…) la veulerie même ».
Yasmina Mahdi
François Amanecer est poète et essayiste. Après deux ans à Harvard, sa vie professionnelle l’a mené en Espagne, en Italie et en Grèce.
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