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Composer de la musique aujourd’hui, Michèle Reverdy

Ecrit par Didier Ayres le 05.12.14 dans Chroniques régulières, La Une CED, Les Chroniques, Côté Musique(s)

Composer de la musique aujourd’hui, Michèle Reverdy

 

Composer de la musique aujourd’hui, Michèle Reverdy, éd. Klincksieck, coll. 50 questions, 2007, 216 pages, 15 €

 

Michèle Reverdy, une personne vivante

Je voudrais écrire quelques mots sur une personne et un livre à la coupure de différents faisceaux d’intérêts qui sont miens, amicaux et intellectuels. Amitié et reconnaissance de Michèle Reverdy, la compositrice de Médée – commande de l’Opéra de Lyon – qui m’a confié les deux dernières pages manuscrites de la partition dudit opéra (1). J’ai donc un point de vue à la fois très argumenté et personnel de la production de la compositrice, qui nous livre dans son ouvrage chez Klincksieck une vraie parole d’artiste. Et pour mieux dire, je crois utile de préciser que cet autographe me hante un peu, à la manière d’un vin dont les notes pourraient être des grappes, dont les clusters pourraient devenir une musique dionysiaque et vibrante, et constituer une œuvre vivante d’aujourd’hui.

D’ailleurs, ces épithètes mythologiques et formelles sont le cœur, si je puis dire, de l’interrogation du livre, lequel est ordonné selon cinq chapitres de plus ou moins dix questions chacun, et qui s’accompagne d’un très utile glossaire, d’une bibliographie, et du détail approfondi des œuvres de la compositrice. Et de cette question fondamentale, comment dire la musique d’aujourd’hui ? Musique contemporaine ? Mais c’est un terme historique, qui remonte à la Deuxième Guerre Mondiale ; musique actuelle ? Mais, tout vient ensemble, jazz, hip-hop, etc. Alors, la musicienne choisit le mot musique savante. Et là, on n’oublie rien de l’histoire de la musique sérieuse, des courants esthétiques, des écoles, des œuvres plus ou moins individualisées. Cette lexicographie est vraiment essentielle, surtout au début de l’ouvrage. Et c’est bien là que nous sommes conviés, nous le lecteur, à visiter l’atelier de la création, les hantises, les obsessions, les colères aussi, enfin tout ce qui fait la pâte d’un créateur, en l’occurrence, une créatrice.

Je ne pourrais pas vraiment parler avec assez d’intelligence du travail de Michèle Reverdy, car ma science n’est pas assez étendue pour saisir toutes les nuances de cette musique vivante. Je dis cela à dessein, car j’ai mon idée, cela va sans dire, de cette matière. Tout d’abord, le silence qui la cerne, le besoin de vide et de méditer, d’éclaircir le monde sonore, de le rendre à sa vraie mesure temporelle et symbolique. Et aussi une impression de puissance immobile, le calme des neiges par exemple.

Mais, je cite : « À l’origine d’une œuvre musicale, il y a le désir ». De cette manière, j’ai lu ce livre sur l’art de composer comme un vade-mecum pour tout créateur artistique. Et je m’autorise ce saut conceptuel parce que, souvent, Michèle Reverdy cite elle-même des poètes, des peintres, des hommes de théâtre, scénographes, et des musiciens bien sûr. Et même si la culture musicale, comme je le disais en supra, est corsetée par une éducation académique, quand je ne peux que faiblement opposer la partialité de ma sensibilité, et donc me sentir voisin de cette culture au mieux.

Car l’écriture de Michèle Reverdy est claire, énonce simplement, avance avec évidence, tout aussi bien que la musique de Messiaen – dont elle a été l’élève en classe de composition avec Michaël Levinas et le défunt Gérard Grisey, au CNSM de Paris – et qui semble affiliée aux maîtres français, et si je peux m’avancer, par l’héritage de Debussy ou de Ravel.

Citons encore : « On ne devient pas compositeur par orgueil, parce qu’on pense que c’est un métier prestigieux. On devient compositeur par nécessité, parce qu’on ressent violemment le besoin d’exprimer à travers la musique ce quelque chose qu’on porte intimement en soi et qui est aussi et encore de la musique. On devient compositeur parce que ne pas composer signifie la mort, le désespoir ».

Il y a aussi au milieu de cet essai des contributions très matérielles et pragmatiques. En effet, la compositrice évoque aussi bien le détail très fin d’une étude d’une partie de ses œuvres par exemple, en n’hésitant pas par ailleurs à décrire le monde assez cruel des opérateurs culturels, qu’elle semble peu apprécier au regard de leur frilosité et de leur conformisme. On voit ainsi, avec moins d’ambages que dans les écrits esthétiques de Boulez, de quoi est faite la vie d’un artiste, ses ressources. Du reste, elle disserte sur le problème du statut social de l’artiste, en nous disant qu’elle craindrait un statut de fonctionnaire pour les musiciens et néanmoins en déplorant la précarité de l’existence des créateurs.

Mais il me faut conclure afin de laisser ouverte la porte de la lecture de ce livre, de ce précis de « grammaire artistique », avec les mots de Michèle Reverdy elle-même, sans épuiser, loin s’en faut, les débats d’idées qui animent l’ouvrage :

« Car pour écouter la musique la plus profonde et la plus riche, il faut savoir faire le silence. Dans une salle plongée dans le noir, au sein d’un public attentif, ému, rassemblé ici par le même amour que vous, la musique vous enveloppe, magique, et vous goûtez subtilement le plaisir de partager ces moments d’exception avec les gens qui vous entourent, connus ou inconnus : cette connivence autour de l’œuvre d’art est comme une amitié qui vous rassemble ».

N’est-ce pas la meilleure des conclusions, avant d’aller écouter la discographie de la musicienne et évidemment, se rendre à ses concerts…

 

Didier Ayres

 

(1) À paraître dans le numéro de la revue L'Hôte la Beauté – en 2015

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A propos du rédacteur

Didier Ayres

 

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Rédacteur

domaines : littérature française et étrangère

genres : poésie, théâtre, arts

période : XXème, XXIème

 

Didier Ayres est né le 31 octobre 1963 à Paris et est diplômé d'une thèse de troisième cycle sur B. M. Koltès. Il a voyagé dans sa jeunesse dans des pays lointains, où il a commencé d'écrire. Après des années de recherches tant du point de vue moral qu'esthétique, il a trouvé une assiette dans l'activité de poète. Il a publié essentiellement chez Arfuyen.  Il écrit aussi pour le théâtre. L'auteur vit actuellement en Limousin. Il dirige la revue L'Hôte avec sa compagne. Il chronique sur le web magazine La Cause Littéraire.