Communiqué N°10, Samuel Gallet
COMMUNIQUE N°10 Editions espaces 34, 2011, 90 pages, 12,50 €
Ecrivain(s): Samuel GalletSamuel Gallet a choisi une citation de la poétesse argentine A. Pizarnik comme seuil à sa pièce de théâtre Communiqué n°10. Faut-il trouver refuge ou pas dans la réalité vraie, telle est l’interrogation posée à l’œuvre qui suivra ? La réalité de la pièce nous replonge dans des évènements qui ont lieu à la fin de 2005. Des émeutes ont débuté en Seine-Saint-Denis dans les banlieues et ont gagné d’autres territoires périurbains du pays. Dans la pièce, un chauffeur de 28 ans, Hassan, veut venger la mort de son jeune frère Lakhdar tué par un vigile, Damien, au moment où il volait un véhicule sur un parking. La ville sans nom, architecture de no man’s land, sert de décor à des émeutes, menées par un groupe d’enfants qui régulièrement lancent sur les ondes des messages, des communiqués de guerre civile et urbaine. Il y en aura dix. Générations révoltées, enfants de travailleurs maghrébins exploités. Samuel Gallet nous plonge dans une dramaturgie de friches, de zones périphériques, plongées dans les ténèbres. Toutefois la « vérité » comme force supérieure introduit une parole surnaturelle et métaphysique, celle d’un vieil homme qui dit et redit : « Je suis mort oui ou non ». Dans un cimetière, à la fin de la pièce, il devient le père de Hassan, celui qui prononce la parole tragique parodoxale : « C’est pas les morts qu’il faut venger Hassan mais les vivants qui demeurent et que les morts regrettent ».
Samuel Gallet écrit le tragique contemporain des destins individuels et collectifs. Hassan le grand frère, et Damien le vigile assassin, ont partagé la même enfance et ont connu les mêmes « vacances pour enfants pauvres, nous » (p.85). Une grande partie de la pièce est d’ailleurs construite selon une symétrie entre les deux personnages. Des scènes s’entrelacent :
I scène 1 Hassan
scène 2 Damien
scène 3 Damien …
Le décor de ces scènes est établi lui aussi sur ce jeu d’alternance : Hassan est dans un appartement au dernier étage d’un immeuble et Damien dans une chambre d’un hôtel miteux. Tous deux forment « un couple » avec une jeune femme : Hassan/Marlène et Damien/Anne. Un personnage âgé est associé aux jeunes gens ; la mère d’Hassan, Zohra, et pour Damien, le vieil homme. Intervient enfin un jeune personnage, figure du complice inquiétant. Hassan est « secondé » par l’enfant, et Yad, qui a des vues sur Anne, rôde près de Damien. Les deux héros (en tête de la liste des personnages) sont en fuite, se cachent, redoutent l’arrivée de la police dans cette nuit pratiquement permanente. Ils se retrouveront à la fin de la pièce sc 6-7 III après une longue traque et échangeront d’assez longues tirades. Si Gallet lie le tragique à des parcours sociaux de notre époque, il y a dans son écriture une source universelle, celle de la tragédie. Sa pièce est par exemple construite en trois actes même si le terme n’est pas utilisé. Il fonde la voix off dans un chœur d’enfants qui parlent à la radio à partir du communiqué n°7.
Nous sommes les enfants…
Ils font le point sur la situation insurrectionnelle dont ils sont les meneurs dérisoires et grandioses. S. Gallet utilise le monologue classique (3 II). Hassan, telle une ombre, parle à son père, vieux travailleur émigré qui s’est épuisé sur les chantiers. Il évoque sa vie (p.48-49) : « Tu partais à 5 heures du matin, pour revenir le soir, les mains en sang… ». Il lui reproche de ne s’être pas bien occupé de son jeune frère qui a mal tourné alors que lui Hassan a joué le jeu de l’intégration. Ce monologue est un chant honorant ces vies brisées. Samuel Gallet enfin superpose dialogue et récit dans la scène centrale (2 II) et bouleverse toute notion d’unité de temps. La didascalie initiale définit un étirement chronologique :
Nuit [ ] Simultanément, une fin d’après-midi dans un café près d’une gare, puis le soir même… une semaine plus tôt.
Marlène parle à Zohra et lui raconte sa rencontre avec ses deux fils dans un café et elle rapporte le dialogue qu’elle a eu avec Hassan. Dans la dernière scène, se succèdent les tirades de Damien et Hassan selon un motif de 2/2 régulier à propos de Lakhdar. Et le tragique bascule. La mort, la vengeance ne gagneront pas la partie. C’est la vie qui triomphe. Hassan de méditer : « Qui frapper au visage ? » Anne à son tour dit : « ne me gâchez pas la vie » et les enfants rebelles s’écrient « nous avons toute la vie à vivre ». S. Gallet dans une langue limpide, simple et forte réconcilie conscience tragique et élan vital. La tragédie n’est pas mortifère mais hymne au combat à venir, la fin du dernier communiqué dit simplement qu’un combat a été perdu mais pas la guerre.
La pièce a été enregistrée en public en mars 2012 au Théâtre ouvert.
Elle ouvrira l’année 2013 au théâtre Les Ateliers à Lyon en janvier dans une mise en scène de J. Ph. Albizzati.
Marie Du Crest
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