Comment tout peut s’effondrer… La forme est affirmative, et sous-entend à la fois l’hypothèse par l’emploi du verbe modal, et la possibilité paradoxale que la probabilité est réelle…
Tout l’intérêt de l’ouvrage est là. Toute la portée de ce titre apparaît en lettres de feu à mesure que la lecture progresse. Analysons chacune de ses quatre unités lexicales.
« peut »
Le titre est annonciateur d’une « possible réelle » catastrophe. Mais attention ! Nous ne sommes pas dans le domaine de la science fiction. Allons plus loin : arrivés au bout du livre, nous pouvons ôter à l’expression « science fiction » son second terme. Nous sommes bien, sans équivoque, dans le champ scientifique.
Ce qui conduit à un paradoxe remarquable : les auteurs exposent la catastrophe… sans faire de catastrophisme. L’exposé est fondé sur la confrontation, l’analyse et la synthèse de cinquante années de données scientifiques analysant l’évolution conjointe et simultanée des sociétés humaines sur la planète et de la planète sous influence des sociétés humaines.
Les publications scientifiques qui envisagent des évolutions catastrophiques globales et une probabilité croissante d’effondrement se font de plus en plus nombreuses et étayées.
« s’effondrer »
Le constat est froidement, parce que scientifiquement asséné : s’il était encore possible vers le milieu du XXe siècle, sinon de revenir vers l’équilibre naturel préexistant à l’explosion industrielle, sinon encore de stopper le processus de dégradation planétaire, du moins d’en ralentir « raisonnablement » le rythme, l’optimisme qui prévalait encore il y a 70 ans, basé sur une confiance aveugle dans les capacités de notre espèce à trouver des solutions systématiques aux obstacles à une croissance exponentielle est aujourd’hui anéanti.
Les auteurs disent. C’est tout.
Nul besoin de fioritures littéraires, ni d’ambages, nulle envolée sentimentaliste, nul sensationnalisme…
Il est trop tard. Point.
Le titre prend alors une autre dimension : quelles que soient les mesures qui seront mises en œuvre dans les années proches, quel que soit le moment où nous prendrons collectivement conscience qu’il est de plus en plus urgent et de plus en plus nécessaire d’agir, effondrement il y aura, inéluctablement.
« tout »
La question n’est donc plus de savoir si l’effondrement adviendra, mais quelle en sera l’ampleur. C’est sur le mot « tout » dans le titre que se développe la réflexion des auteurs. Tout ou partie ? Cela dépendra du moment où on agira : 2020, 2025, 2030, 2050 ? Plus les mesures tarderont à s’imposer aux grands décideurs, moins elles seront d’importance, plus vite la catastrophe arrivera, plus grande sera son amplitude.
C’est une certitude, implacable.
« comment »
La plupart des prévisionnistes catastrophistes, avant l’écriture de cet ouvrage, ont travaillé, constatent Servigne et Stevens, chacun cantonné dans le domaine spécifique correspondant à sa spécialité. Des économistes ont prédit des crises économiques, l’explosion/implosion de bulles spéculatives financières ou immobilières, le déclin brutal des Etats-Unis… Des sociologues ont prévu de grandes révoltes, de plus en plus récurrentes, en conséquence de l’accroissement continu des inégalités et de la concentration insupportable des richesses au profit d’un nombre restreint d’accapareurs. Les écologistes et les climatologues ont établi des diagnostics et pronostics précis sur les conséquences irréductibles des dérèglements climatiques qui portent atteinte au règne animal, au végétal, et ont mesuré les bouleversements météorologiques entraînant des guerres pour l’eau, des désastres agricoles, des famines, des émeutes de la faim, et des migrations massives qui provoquent à leur tour des tensions xénophobes grandissantes suscitant une montée visible des nationalismes fascisants. D’autres études ont été consacrées à l’incidence qu’aura la diminution imminente des ressources en énergies fossiles sur nos modes de production et nos habitudes modernes en matière de consommation d’énergie…
Et cetera, hélas.
Tout cet engrenage complexe est à la merci d’un grain de sable qui bloquerait l’un de ses rouages.
Aujourd’hui nous sommes sûrs de quatre choses : 1/ La croissance physique de nos sociétés va s’arrêter dans un futur proche. 2/ Nous avons altéré l’ensemble du système-Terre de manière irréversible. 3/ Nous allons vers un avenir très instable, non linéaire, dont les grandes perturbations seront la norme. 4/ Nous pouvons désormais être soumis potentiellement à des effondrements systémiques globaux.
Alors ?
Servigne et Stevens, inventeurs du concept de la collapsologie, ont eu le génie de commettre un total décloisonnement de tous ces champs d’études, et ont démontré magistralement les corrélations étroites qui maintiennent ensemble, en équilibre de plus en plus fragile, tous ces systèmes en un seul édifice systémique, faisant apparaître de manière éclatante la terrible précarité de l’état actuel du monde.
Avant 2025, l’économie et la production agricole décrochent et s’effondrent totalement avant la fin du siècle… A partir de 2030, la population humaine se met à décroître de manière incontrôlée…
La machine infernale est lancée, s’est emballée et son emballement s’accélère. Son carburant : la croissance, que s’acharnent à soutenir les tenants du libéralisme capitaliste au motif que la production continue de richesse finira par profiter à tous, théorie du ruissellement que démentent les récentes études socio-économiques.
Seule une remise en question globale de ce système productiviste et consumériste pourrait, selon nos auteurs, ralentir et non pas arrêter sur place son emballement suicidaire, car il faut du temps pour freiner et stopper un véhicule propulsé à pleine vitesse et dont le contrôle a totalement échappé à ceux qui l’ont mis en marche (la métaphore de l’automobile est récurrente dans l’ouvrage).
Il faudra une volonté politique partagée mondialement pour que s’opèrent les premiers coups de frein, sur le mode d’une décroissance, ou d’un arrêt de la croissance avec une redistribution mondiale des richesses pour un mode de vie plus simple… Utopie ?
Mais d’ores et déjà, l’autocar fou du monde fonce dans les premiers murs. Leur effondrement est programmé, il est tout proche… A quels moments les suivants s’écrouleront-ils, l’un après l’autre, en rangs de dominos, dans les décennies à venir ? C’est la question.
Pour l’instant, les politiques à l’œuvre appuient encore inconsidérément, criminellement, sur l’accélérateur…
Notre monde s’est clairement dirigé vers le scénario « business as usual », c’est-à-dire le pire scénario…
Cet ouvrage, publié en 2015, devrait nous inciter fortement à l’action individuelle et collective…
Patryck Froissart, originaire du Borinage, a enseigné les Lettres dans le Nord de la France, dans le Cantal, dans l’Aude, au Maroc, à La Réunion, à Mayotte, avant de devenir Inspecteur, puis proviseur à La Réunion et à Maurice, et d’effectuer des missions de direction et de formation au Cameroun, en Oman, en Mauritanie, au Rwanda, en Côte d’Ivoire.
Membre des jurys des concours nationaux de la SPAF
Membre de l’AREAW (Association Royale des Ecrivains et Artistes de Wallonie)
Membre de la SGDL
Il a publié plusieurs recueils de poésie et de nouvelles, dont certains ont été primés, un roman et une réédition commentée des fables de La Fontaine, tous désormais indisponibles suite à la faillite de sa maison d’édition. Seuls les ouvrages suivants, publiés par d’autres éditeurs, restent accessibles :
-Le dromadaire et la salangane, recueil de tankas (Ed. Franco-canadiennes du tanka francophone)
-Li Ann ou Le tropique des Chimères, roman (Editions Maurice Nadeau)
Comment tout peut s’effondrer, Pablo Servigne, Raphaël Stevens (par Patryck Froissart)
Ecrit par Patryck Froissart 15.03.19 dans La Une Livres, Les Livres, Critiques, Essais, Seuil
Comment tout peut s’effondrer, Postface Yves Cochet, 300 pages, 19 €
Ecrivain(s): Pablo Servigne, Raphaël Stevens Edition: SeuilComment tout peut s’effondrer… La forme est affirmative, et sous-entend à la fois l’hypothèse par l’emploi du verbe modal, et la possibilité paradoxale que la probabilité est réelle…
Tout l’intérêt de l’ouvrage est là. Toute la portée de ce titre apparaît en lettres de feu à mesure que la lecture progresse. Analysons chacune de ses quatre unités lexicales.
« peut »
Le titre est annonciateur d’une « possible réelle » catastrophe. Mais attention ! Nous ne sommes pas dans le domaine de la science fiction. Allons plus loin : arrivés au bout du livre, nous pouvons ôter à l’expression « science fiction » son second terme. Nous sommes bien, sans équivoque, dans le champ scientifique.
Ce qui conduit à un paradoxe remarquable : les auteurs exposent la catastrophe… sans faire de catastrophisme. L’exposé est fondé sur la confrontation, l’analyse et la synthèse de cinquante années de données scientifiques analysant l’évolution conjointe et simultanée des sociétés humaines sur la planète et de la planète sous influence des sociétés humaines.
Les publications scientifiques qui envisagent des évolutions catastrophiques globales et une probabilité croissante d’effondrement se font de plus en plus nombreuses et étayées.
« s’effondrer »
Le constat est froidement, parce que scientifiquement asséné : s’il était encore possible vers le milieu du XXe siècle, sinon de revenir vers l’équilibre naturel préexistant à l’explosion industrielle, sinon encore de stopper le processus de dégradation planétaire, du moins d’en ralentir « raisonnablement » le rythme, l’optimisme qui prévalait encore il y a 70 ans, basé sur une confiance aveugle dans les capacités de notre espèce à trouver des solutions systématiques aux obstacles à une croissance exponentielle est aujourd’hui anéanti.
Les auteurs disent. C’est tout.
Nul besoin de fioritures littéraires, ni d’ambages, nulle envolée sentimentaliste, nul sensationnalisme…
Il est trop tard. Point.
Le titre prend alors une autre dimension : quelles que soient les mesures qui seront mises en œuvre dans les années proches, quel que soit le moment où nous prendrons collectivement conscience qu’il est de plus en plus urgent et de plus en plus nécessaire d’agir, effondrement il y aura, inéluctablement.
« tout »
La question n’est donc plus de savoir si l’effondrement adviendra, mais quelle en sera l’ampleur. C’est sur le mot « tout » dans le titre que se développe la réflexion des auteurs. Tout ou partie ? Cela dépendra du moment où on agira : 2020, 2025, 2030, 2050 ? Plus les mesures tarderont à s’imposer aux grands décideurs, moins elles seront d’importance, plus vite la catastrophe arrivera, plus grande sera son amplitude.
C’est une certitude, implacable.
« comment »
La plupart des prévisionnistes catastrophistes, avant l’écriture de cet ouvrage, ont travaillé, constatent Servigne et Stevens, chacun cantonné dans le domaine spécifique correspondant à sa spécialité. Des économistes ont prédit des crises économiques, l’explosion/implosion de bulles spéculatives financières ou immobilières, le déclin brutal des Etats-Unis… Des sociologues ont prévu de grandes révoltes, de plus en plus récurrentes, en conséquence de l’accroissement continu des inégalités et de la concentration insupportable des richesses au profit d’un nombre restreint d’accapareurs. Les écologistes et les climatologues ont établi des diagnostics et pronostics précis sur les conséquences irréductibles des dérèglements climatiques qui portent atteinte au règne animal, au végétal, et ont mesuré les bouleversements météorologiques entraînant des guerres pour l’eau, des désastres agricoles, des famines, des émeutes de la faim, et des migrations massives qui provoquent à leur tour des tensions xénophobes grandissantes suscitant une montée visible des nationalismes fascisants. D’autres études ont été consacrées à l’incidence qu’aura la diminution imminente des ressources en énergies fossiles sur nos modes de production et nos habitudes modernes en matière de consommation d’énergie…
Et cetera, hélas.
Tout cet engrenage complexe est à la merci d’un grain de sable qui bloquerait l’un de ses rouages.
Aujourd’hui nous sommes sûrs de quatre choses : 1/ La croissance physique de nos sociétés va s’arrêter dans un futur proche. 2/ Nous avons altéré l’ensemble du système-Terre de manière irréversible. 3/ Nous allons vers un avenir très instable, non linéaire, dont les grandes perturbations seront la norme. 4/ Nous pouvons désormais être soumis potentiellement à des effondrements systémiques globaux.
Alors ?
Servigne et Stevens, inventeurs du concept de la collapsologie, ont eu le génie de commettre un total décloisonnement de tous ces champs d’études, et ont démontré magistralement les corrélations étroites qui maintiennent ensemble, en équilibre de plus en plus fragile, tous ces systèmes en un seul édifice systémique, faisant apparaître de manière éclatante la terrible précarité de l’état actuel du monde.
Avant 2025, l’économie et la production agricole décrochent et s’effondrent totalement avant la fin du siècle… A partir de 2030, la population humaine se met à décroître de manière incontrôlée…
La machine infernale est lancée, s’est emballée et son emballement s’accélère. Son carburant : la croissance, que s’acharnent à soutenir les tenants du libéralisme capitaliste au motif que la production continue de richesse finira par profiter à tous, théorie du ruissellement que démentent les récentes études socio-économiques.
Seule une remise en question globale de ce système productiviste et consumériste pourrait, selon nos auteurs, ralentir et non pas arrêter sur place son emballement suicidaire, car il faut du temps pour freiner et stopper un véhicule propulsé à pleine vitesse et dont le contrôle a totalement échappé à ceux qui l’ont mis en marche (la métaphore de l’automobile est récurrente dans l’ouvrage).
Il faudra une volonté politique partagée mondialement pour que s’opèrent les premiers coups de frein, sur le mode d’une décroissance, ou d’un arrêt de la croissance avec une redistribution mondiale des richesses pour un mode de vie plus simple… Utopie ?
Mais d’ores et déjà, l’autocar fou du monde fonce dans les premiers murs. Leur effondrement est programmé, il est tout proche… A quels moments les suivants s’écrouleront-ils, l’un après l’autre, en rangs de dominos, dans les décennies à venir ? C’est la question.
Pour l’instant, les politiques à l’œuvre appuient encore inconsidérément, criminellement, sur l’accélérateur…
Notre monde s’est clairement dirigé vers le scénario « business as usual », c’est-à-dire le pire scénario…
Cet ouvrage, publié en 2015, devrait nous inciter fortement à l’action individuelle et collective…
Patryck Froissart
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A propos de l'écrivain
Pablo Servigne, Raphaël Stevens
Raphaël Stevens, éco-conseiller. Expert en résilience des systèmes socio-écologiques, cofondateur du bureau de consultance Greenloop.
Pablo Servigne, docteur en agronomie, chercheur indépendant et transdisciplinaire.
A propos du rédacteur
Patryck Froissart
Tous les articles et textes de Patryck Froissart
Patryck Froissart, originaire du Borinage, a enseigné les Lettres dans le Nord de la France, dans le Cantal, dans l’Aude, au Maroc, à La Réunion, à Mayotte, avant de devenir Inspecteur, puis proviseur à La Réunion et à Maurice, et d’effectuer des missions de direction et de formation au Cameroun, en Oman, en Mauritanie, au Rwanda, en Côte d’Ivoire.
Membre des jurys des concours nationaux de la SPAF
Membre de l’AREAW (Association Royale des Ecrivains et Artistes de Wallonie)
Membre de la SGDL
Il a publié plusieurs recueils de poésie et de nouvelles, dont certains ont été primés, un roman et une réédition commentée des fables de La Fontaine, tous désormais indisponibles suite à la faillite de sa maison d’édition. Seuls les ouvrages suivants, publiés par d’autres éditeurs, restent accessibles :
-Le dromadaire et la salangane, recueil de tankas (Ed. Franco-canadiennes du tanka francophone)
-Li Ann ou Le tropique des Chimères, roman (Editions Maurice Nadeau)
-L’Arnitoile, poésie (Sinope Editions)