Comme une lune noire sur ma table, Christian Viguié (par Philippe Leuckx)
Comme une lune noire sur ma table, Christian Viguié, éd. La Table Ronde, mars 2024, 176 pages, 17 €
Edition: La Table Ronde
Ce volume de poésie, copieux et léger, est sans doute, dans l’esprit de l’auteur, et celui de ses lecteurs fervents, une chronique « au jour le jour » de la vie quotidienne. L’art de piéger le réel pour nous le restituer avec vivacité, humour et cohérence, semble aller de soi pour le poète qui passe son temps à attendre que le monde entre en ses pages. Il lui suffit d’observer une porte, d’ouvrir un tiroir, de « poser des choses » sur une table, pour faire naître ce condensé du monde : le poème.
Distribué en deux parties, le livre expérimente là deux écritures : des poèmes très brefs, d’une part, jamais au-delà de sept, huit vers, et d’autres, beaucoup plus longs, offrant au texte plus d’amplitude sinon de réflexion.
Le même amour des mots qui ne soient pas que des mots (« je veux qu’un arbre soit un arbre »), la même attention au gris du ciel, à la venue d’un oiseau, « derrière la vitre », traverse les deux liasses de poèmes. S’y retrouvent le goût sûr d’une nature sans cesse renouvelée, la volonté d’inscrire le poème dans le vrai d’une vie qui s’écoule, comme poser une veste sur le dossier d’une chaise ou « savoir/ quelle autre vie vacille en nous ».
Comme tout grand poète (et les Français ne sont pas en reste : Grandmont, Prat, Miniac, Bourçon, Sampiero, Dhainaut…), Viguié s’offre une vision du monde, personnelle, attachante ; sans cesse, l’écriture (qu’il nomme, suscite) « cueille » les fruits d’une attentive perception des choses.
Regarder, épier le ciel, « à l’abri de la pluie », ne pas trop savoir, accueillir pas à pas le réel, loin des métaphores, « tenir à distance », être apte à « poser une nappe de nuit/ sur la table » : voilà somme toute l’éveil poétique d’une conscience.
Les poèmes tombent comme des pommes :
Il n’y a plus de fruits
sur les branches basses de l’arbre
Il ne reste que la lune
Peut-être est-ce la nuit
la voleuse de pommes ? (p.75).
Journée après journée, le poète aiguise sa lucidité, reçoit les mystères et les émerveillements comme matières nobles du réel ; l’humble travail du poète (« sans doute nous habillons-nous/ avec les vêtements humbles du jour ») consigne les perles et beautés.
Pour notre plus grand bonheur.
Un très beau livre
Philippe Leuckx
Christian Viguié, né en 1960, est l’auteur de nombreux ouvrages (poèmes et romans). Il est détenteur de plusieurs Prix (Artaud, Mallarmé). Citons : La dure lumière ; Damages ; Le Jardin des mots.
- Vu : 830