Comme un rire de lumière, Charles Tomlinson
Comme un rire de lumière, Éditions Caractères, édition bilingue, trad. anglais Michèle Duclos, préface Michael Edwards, dessins Charles Tomlinson, 128 pages, 20 €
Ecrivain(s): Charles Tomlinson
Michael Edwards constate avec justesse que la poésie de Tomlinson, « vibrant de tant de présences observées, élucidées et mises en œuvre, s’intéresse souvent […] à l’inaperçu et à l’absent ». Il n’est que de se reporter au poème « The Track of the Deer » (« La Trace du chevreuil ») pour s’en rendre compte.
… The track of the deer
That strayed last night into the garden,
Stops beneath the fruitless apple tree,
Shaped out and shimmering with that frost
You can feel here at the edge of all imaginings :
The departed deer glimmers with the presence
Of sensed, substantial and yet absent things.
… La trace du chevreuil
Égaré la nuit dernière dans le jardin
S’arrête sous le pommier sans fruits,
Formée, miroitant dans le givre
Palpable là au bord de toute évocation :
Le chevreuil disparu luit de la présence
Des choses éprouvées, substantielles et pourtant absentes.
Voilà – remarque Michael Edwards – « un chevreuil qui s’était égaré la nuit dans le jardin du poète mais qui n’est là, le matin, que par ses empreintes, “glimmers with the presence / Of sensed, substantial and yet absent things” (“luit de la présence / Des choses senties, solides, mais absentes”) ».
Jean-Christophe Bailly note dans Le parti pris des animaux : « La présence elle-même, loin de pouvoir être consignée, encagée ou mise en scène dans la visibilité pure et simple, se décline en une gamme infinie qui comporte l’éclipse, l’intermittence, l’effacement. C’est dans l’espace de cette présence absentée que se manifestent les indices, les signaux et les traces ».
Et Michael Edwards d’ajouter dans sa préface du volume paru aux Éditions Caractères : « Au lieu de la fleur absente […] de Mallarmé (dans Crise de vers), “idée” et “notion pure” à laquelle la vibration, la musique du vers nous permettrait de tendre, Tomlinson est sensible à ce que nous n’atteignons pas tout à fait, mais qui est à la fois invisible et substantiel, explicable et pourtant numineux ». En cela il est frère de Jaccottet. « Et le chevreuil n’est pas le seul absent, continue Edwards, car sa piste s’arrête sous “the fruitless apple tree” (“le pommier vide”). […] Si la belle lumière créée par une absence de fruits correspond par sa sonorité à celle, fictive, créée par une absence de chevreuil (“shimmering… glimmers”), c’est pour suggérer que l’ici et l’ailleurs participent à un ensemble continu et que la nature et l’esprit collaborent, chacun selon ses propres lois, pour faire apparaître le monde et son possible ».
Matthieu Gosztola
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