Cahiers de l'Herne : Colette, la mère et le père en héritage !
"Colette", sous la direction de Gérard Bonal et Frédéric Maget, Editions de l’Herne, Coll. Cahiers de l’Herne, 31 Octobre 2011, 336 pages - 39 €
C’est un cahier de plus de 335 pages que les éditions de l’Herne consacrent à Colette (1873/1954), la grande romancière française décrite par J.M.G le Clézio comme « l’écrivain matériel - qui - appréhende le monde à l’aide de ses sens ».
Femme à part, hors normes, première écrivaine à avoir traité dans son œuvre l’homme comme un objet, à contre courant des mouvements littéraires et idéologiques dominants de la première moitié du XXe siècle, libre, libérée des carcans conventionnels et moralistes, Colette refusait la définition et l’interprétation normatives des genres. Parlait de son « hermaphrodisme mental et de son brin de virilité ». Questionnait les représentations binaires masculin/féminin. Explorait les sexualités des hommes et des femmes pour les détourner, les inverser, les théoriser et proposer une vision alternative de la question des genres. Et bien qu’elle eût plutôt tendance à exprimer des positions de nature provocatrice à l’égard du féminisme naissant, en général, et de la question du droit de vote des femmes (1), en particulier, il n’en demeure pas moins que cette femme qui a influencé Simone de Beauvoir dans la rédaction du « Deuxième sexe », préconisait un féminisme au quotidien.
Colette était une femme aux talents multiples et à la personnalité contestée et décriée. Apollinaire ne l’avait-il pas qualifiée de « perverse et d’espiègle » et comparé son audace à « l’impudeur tragique des premiers chrétiens ? » (Julia Kristeva). Elle était une écrivaine à « l’écriture qui sollicite, approfondit, déplace et modifie les outils de la psychanalyse » (Julia Kristeva). Et c’est le personnage dans ses facettes multiples et ambiguës ; la romancière au « visage plus riche, plus profond, plus complexe, plus violemment humain ou inhumain » que ce cahier structuré en sept grandes parties cherche à dévoiler et à mettre en lumière. Par ailleurs, il vise à « revisiter » quelques grands thèmes de l’oeuvre de Colette, sa réflexion sur la nature, les animaux, les plantes et bien d’autres aspects qui confèrent à l’auteure une dimension essentiellement singulière, originale, universelle et contemporaine. Colette a été élue membre de l’Académie Goncourt en 1945.
C’est à Saint-Sauveur-en-Puisaye, dans une maison bourgeoise, située à la rue de l’Hospice (2), le 28 janvier 1873, que naît Sidonie Gabrielle Alias Colette. En, 1896, la famille quitte Saint - Sauveur et s’installe à Châtillon-Coligny. Le retour dans la maison de l’enfance se fera par le truchement du souvenir qu’elle fera revivre et immortalisera dans le corps de son écriture, ce lieu où Sido, la mère et le Capitaine, le père sont omniprésents. Ces deux figures, maternelle et paternelle, qui ont influencé sa vision de la vie, du monde et ont orienté le sens de son écriture, émergent dans son oeuvre comme deux personnages tutélaires ou encore « deux espaces entre lesquels et à partir desquels Colette la femme, Colette l’écrivain enracinée dans sa très vivace enfance, tisse sa trajectoire de vie » (Nathalie Prokhoris).
Sido : la mère fictive, la mère mythique
L’une des caractéristiques de l’écriture de Colette concerne l’hommage à la mère qui devient la source d’inspiration d’une oeuvre qui fut saluée par André Gide, Jean Cocteau et François Mauriac. Et c’est sur le modèle de cette femme qu’elle a construit le personnage de Sido. Femme libre, lucide, clairvoyante, affichant un goût prononcé pour l’anticonformisme, cette mère qui a vécu une existence mouvementée dès l’enfance, devient sous la plume de sa fille une sorte de mère fictive, de mère mythique voire un personnage littéraire que N. Prokhoris définit comme « l’un des plus beaux mythes maternels de toute l’histoire de la littérature ».
C’est à Paris qu’Adèle Landoy dite Sido naît. Son père est négociant. Sa mère décède à sa naissance. C’est alors que son père la confie aux soins d’une nourrice. Et en 1846, elle rejoint son père et son frère installés en Belgique. A la mort du père, elle va vivre chez son frère à Schaerbeek. Journaliste d’exception et de renommée, il va permettre à Adèle de bénéficier d’une éducation raffinée et de côtoyer des peintres, des poètes et des musiciens. C’est grâce à ces fréquentations qu’elle acquiert une liberté d’esprit, le sens critique et de l’anticonformisme. C’est lors de ses visites à ses parents nourriciers à Mézilles qu’Adèle reçoit une proposition de mariage avec M. Jules Robineau, riche propriétaire terrien appartenant à une famille de notables. Surnommé le singe pour son physique laid et disgracieux, le futur époux était réputé pour son alcoolisme. En 1897, Adèle épouse M. Jules Robineau et va vivre à Saint-Sauveur. Sa vie dans ce village est morne et triste. Adèle étouffe face à l’étroitesse d’esprit des villageois. En 1865, à la port de son époux, elle épouse le Capitaine Colette : La figure paternelle. Cet autre personnage que l’écrivaine dévoile aux lecteurs en le décrivant dans toute son humanité et sa complexité.
Le Capitaine Colette ou « la tristesse profonde des amputés »
C’est dans Le Zouave (1915) et La Maison de Claudine (1922) que la figure du père fait son apparition. Mais c’est dans Sido que le personnage paternel est décrit de manière précise et inédite. C’est donc par l’écriture que Colette re-découvre son père. Cet homme mystérieux. Enfermé dans le silence et qui se révèle à elle dans une réalité qu’elle n’a pas connu lorsqu’elle était enfant. De ce père mort en 1905 à Châtillon, elle a hérité un ruban de Crimée, une médaille d’Italie, une rosette d’officier de la légion d’honneur.... Des objets symbolisant la carrière militaire interrompue du Capitaine. Outre cet héritage d’ordre matériel, l’apport du père dans le champ de l’écriture va se révéler à elle lentement. L’adoption du nom patronyme - Colette- comme nom de plume en 1923 lors de la publication du « Blé en herbe » est l’un des indices de l’hommage rendu au père : « Voilà que légalement, littéralement et familièrement, je n’ai qu’un nom qui est le mien », confie-t-elle. Car pour Colette, écrire ne s’inscrivait-il pas dans l’ordre d’une réparation à l’égard de son père qui avait une vocation littéraire mais n’a cependant jamais écrit ? N’avait-elle pas tendance à affirmer qu’elle n’était pas née pour écrire ?. Alors que le père est associé au désir refoulé, empêché, non réalisé, en écrivant, Colette réalise le voeu le plus cher de cet homme qui lui a transmis l’amour pour la lecture et l’écriture. Poète à ses heures perdues et homme de Lettres, le Capitaine vouait un amour profond à la lecture qu’il concevait comme un refuge, un lieu où il se retirait du monde.
Le second aspect de la transmission paternelle concerne la tristesse. A travers le texte intitulé « Le Capitaine », Colette dresse le portrait de son père. Elle fouille dans sa mémoire pour y découvrir une blessure tapie au fond de l’être paternel : « la tristesse profonde des amputés ». Le brillant, l’allègre père tant aimé et admiré était un amputé de guerre. Ce grand danseur, fantaisiste et renommé cachait une souffrance muette car il avait perdu sa jambe à la bataille de Melgnamo (Marignan), le 8 juin 1859 Cette perte est évoquée dans « La Maison de Claudine », « Le Zouave et Sido » : « Je l’écoutais s’éloigner, ferme, égal, le rythme de deux bâtons et d’un seul pied, » écrit-elle dans « La Maison de Claudine ». Douleur commune. Tristesse partagée. Complicité. Connivence. La fille qui avait intériorisé « le ratage paternel » avait, par son attitude « compensatoire réparatrice » réussi à faire vivre, à travers son écriture, Colettee-le-père, cet écrivain sans œuvre. Elle avait donné vie à ce père, handicapé physique dont la vie fut ponctuée d’échecs et d’ambitions non réalisées.
Hantée par le Capitaine. Touchée par sa « souffrance muette ». Obnubilée par le sentiment d’impuissance et d’échec du père, Colette a vécu avec l’angoisse de reproduire le ratage paternel. L’identification de Colette avec son père, le Capitaine, amputé d’une jambe apparaît dans toute sa force dans le regard contemplatif qu’elle avait à l’égard de sa mère. Par cette attitude, Colette avait tendance à imiter le regard que son père portait sur Sido.
Nadia Agsous
Notes :
1) Les suffragettes ? Elles méritent le fouet et le harem avait-elle déclaré en 1910.
2) Rebaptisée rue Colette.
Bibliographie :
Recueils d’oeuvres
1) Oeuvres complètes, en 15 volumes : Flammarion, édition dite « du Fleuron », 1948-1950.
2) Oeuvres complètes, en 16 volumes : Flammarion, édition dite « du Centenaire », 1973-1976. (Edition augmentée, par rapport à l’édition du Fleuron, de recueils posthumes rassemblés par Maurice Goudeket : Paysages et portraits, Contes des mille et un matins (t. XIII). Derniers écrits (t. XIV), et de cinq volumes de correspondance établis par Claude Pichois : Lettres à Marguerite Moreno (t. XIV). Lettres de la Vagabonde, Lettres à Hélène Picard (t. XV). Lettres au Petit Corsaire et Lettres à ses pairs (t. XVI).)
3) Romans. Récits. Souvenirs, en 3 volumes : Laffont, « Bouquins »,1989, édition établie par Françoise Burgaud.
4) Oeuvres, en 4 volumes : Gallimard, Bibliothèque de la Pléiade, 1984, 1986, 1991 et 2001, sous la direction de Claude Pichois, qui a préfacé chaque tome.
Morceaux choisis :
L’ingénue libertine
Des yeux noirs superbes, des cheveux si blonds qu’ils paraissent argentés, élancée, Minne est une ravissante personne adorée par sa maman. Elle suit les cours des demoiselles Souhait pour y rencontrer des jeunes filles bien élevées et s’y instruire à l’occasion... Tout a été arrangé pour que Minne ait une vie des plus douillettes. Mais Minne rêve d’autre chose, elle veut connaître ce qu’elle appelle l’Aventure. Mariée, déçue, humiliée mais maintenant renseignée et ayant compris que l’Aventure, c’est l’Amour, Minne va alors chercher avec détermination l’homme qui lui donnera ce bonheur merveilleux dont toutes les femmes qu’elle connaît parlent et tous les livres aussi.
Le Pur et l’Impur
Une chose qu’on connaît bien pour l’avoir bien possédée, on n’en est jamais tout à fait privé.
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