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Clémence en colère, Mirion Malle (par Yasmina Mahdi)

Ecrit par Yasmina Mahdi 23.08.24 dans La Une Livres, Albums, Les Livres, Critiques, Bandes Dessinées

Clémence en colère, Mirion Malle, éditions La Ville brûle, mai 2024, 224 pages, 23 €

Clémence en colère, Mirion Malle (par Yasmina Mahdi)

 

Couleur feu

Mirion Malle née en 1992 en Charente-Maritime a vécu entre Paris, Bruxelles et Montréal. Elle a étudié à l’École supérieure des arts Saint-Luc à Bruxelles, et est titulaire d’un master de sociologie et anthropologie avec une spécialité en Genre. Son nouveau roman graphique pour lequel elle a créé texte et images a pour personnage principal Clémence, une révoltée, belle rousse tatouée. L’histoire est sans doute située au Québec, car son héroïne Clémence s’exprime dans un langage émaillé d’anglais – « Les dudes me saoulent (…) Ben… que je suis pas mal fucked up (…) I wish qu’ils aient peur de mourir en nous touchant esti » –, un sociolecte relativement élaboré, en fait, afin d’appréhender son mal-être et se libérer des brutalités du passé.

Il va lui falloir trouver une réponse à sa colère et une solution à sa dépression. Elle va alors entamer une thérapie de groupe au féminin également encadré par des femmes sur un sujet tabou : le viol et/ou l’inceste. De plus, une rencontre amoureuse va calmer la virulence de Clémence, furieuse à l’encontre du monde, des violeurs, des injustices et de ce qui la mine intérieurement. Les écrans interposés entre les filles sont nombreux (voire les notifications sur Instagram), mais n’empêchent pas les confidences et les conversations profondes. La symbolique du tatouage est importante et imprime les corps à la façon de rites identitaires. La thérapie comportementaliste produit des effets cathartiques et en effet, le langage de Clémence se structure, elle parvient même à cerner l’objet de ses angoisses.

La colère a une incidence sur « les états d’âme », si l’on se réfère à la Sémiotique des passions (Greimas, Algirdas, Fontanille, 1991) ; ici, les héroïnes de papier examinent comment « les états de choses », c’est-à-dire les violences sexuelles qui les ont traumatisées, se transforment en « états d’âme », en émotions, passant du spectre de la colère à l’apathie. Notons : « C’est lui le gros creep, vous avez quel âge ? 16, 17 ? / Berk, lui il est plus vieux que moi. Il me dégoûte ! / Envie de le claquer », ou « En fait, je vois les choses comme sur deux plans : le global et le local. / C’est normal d’être désespérée devant l’immensité de la tâche au niveau global. / T’sais, dur de faire la révolution à partir de soi toute seule ». Mirion Malle représente une petite communauté lors de tables rondes et de débats parfois en plein air – un peu à la façon des jeunes adultes des années 1968 aux États-Unis –, décrivant leurs échanges libertaires et leurs utopies pacifistes, et surtout une volonté de reconnaissance de leur homosexualité.

Pour ce roman graphique contemporain, les référents sont ceux du dessin, de la palette de couleur, assortis de phylactères comportant des dialogues ou des monologues, des récitatifs de Clémence, dans des cases parfois au nombre de sept par page qui avoisinent quelques gros plans pleine page. Les cases aux limites visibles, cadrées en séquences de vie, sont réduites, réalisées sur le mode de la bande dessinée. La dominante chromatique gouachée, mate, en aplats veloutés est plaisante, dans la gamme chaude des ocres, des roux, des Terre de Sienne, des auburn pour les chevelures, du chocolaté pour la coloration des peaux ; un camaïeu de vert olive fait ressortir ces couleurs automnales. La simplicité du trait n’empêche ni les détails des expressions des visages et des mouvements des corps ni ceux des objets du quotidien. Il y a du dynamisme, de la vitalité, ce qui rappelle les prises de position graphiques de Claire Bretécher à cause de l’apparente simplicité formelle et des positions défendues par ses personnages.

Les chevelures sont très travaillées, et les individus sont inscrits parfois dans une profondeur de champ. L’album graphique de Mirion Malle est irrévérencieux par rapport à l’histoire et au cadrage, à la mise en page des images et des sujets figurés. L’on retrouve en arrière-fond l’univers de Xavier Dolan, de par les expressions comme les cisdudes, des mecs randoms, les tabernak québécois, etc. Un beau livre sur la guérison par la parole, l’empathie et la sororité.

Pour adolescents et adultes.

 

Yasmina Mahdi



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A propos du rédacteur

Yasmina Mahdi

 

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rédactrice

domaines : français, maghrébin, africain et asiatique

genres : littérature et arts, histoire de l'art, roman, cinéma, bd

maison d'édition : toutes sont bienvenues

période : contemporaine

 

Yasmina Mahdi, née à Paris 16ème, de mère française et de père algérien.

DNSAP Beaux-Arts de Paris (atelier Férit Iscan/Boltanski). Master d'Etudes Féminines de Paris 8 (Esthétique et Cinéma) : sujet de thèse La représentation du féminin dans le cinéma de Duras, Marker, Varda et Eustache.

Co-directrice de la revue L'Hôte.

Diverses expositions en centres d'art, institutions et espaces privés.

Rédactrice d'articles critiques pour des revues en ligne.